La Machine à Dire sur la scène de Glendon: les coulisses du savoir-vivre

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Publié 29/04/2008 par Ulysse Gry

Six voix dévoilent les voies de la vie. Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, présentée par la troupe de théâtre La Machine à Dire, au College Glendon jusqu’au 3 mai, est de ces pièces qui utilisent la légèreté pour soulever les pesanteurs du quotidien. Le metteur en scène Christophe Bauzet réussit une adaptation décapante du monologue de Jean Luc Lagarce, qui tire sur toutes les conventions sociales. Et vise juste!

La vie est une pièce de théâtre. Tout est orchestré pour éviter les fausses notes et pour parer à l’imprévu. Le souffleur est un pesant code du savoir-vivre qui dicte les paroles et les gestes à suivre, et les costumes sont les apparats de la courtoisie. Déguisements dotés chacun d’une lourde et apparente étiquette sociale. Le public? L’entourage, la famille, le parrain, la marraine, les autres, «je ne sais pas, n’importe qui».  

La bienséance se met en scène. Jean-Luc Lagarce a écrit ce texte sachant qu’il allait mourir, et c’est à l’aube de la scène finale de son existence qu’il s’est posé cette terrible question: toutes ces bonnes manières sont-elles si utiles? Il y répond par un monologue saisissant et corrosif, non sans humour. Une énumération abyssale des règles du savoir-vivre qui donne le vertige.

À travers le rythme endiablé de son texte, l’absurdité des concordances se fait entendre. On dit qu’il faut être acteur de sa propre existence: c’est toujours mieux que d’en être le spectateur, certes, mais pourquoi ne pas en être le metteur en scène? Un acteur ne décide pas, il obéit, il feint, il joue un rôle.

Christophe Bauzet s’est justement proposé de mettre en scène et à nu cette théâtralisation de la vie. Après avoir analysé en profondeur le monologue, aidé de Marie-Christine Masson, il dégage six personnages. «C’est un découpage qui n’a rien du hasard, il fallait rendre le rythme, donner vie au texte.»

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Ainsi disséqué, le ton est explosif, sa portée se décuple et ne laisse pas de répit au spectateur. On est noyé sous le flot des politesses.

Sur scène, les six acteurs qui ne font qu’un s’habillent et se déshabillent, manipulés comme des pantins. Ils répètent machinalement, sur le ton de l’évidence et de la pensée toute faite, ces règles et convenances qui les animent.

À plusieurs voix les phrases fusent, commencées par l’un et finies par l’autre dans un rythme effréné qui enivre le spectateur, jusqu’à provoquer l’éclat de rire. Du tac au tac en un acte sur l’art du tact. Et pour une première, très peu de trac.

La troupe est composée de quatre élèves du Lycée français de Toronto et deux adultes, «six acteurs extraordinaires», selon Christophe Bauzet. Il sont sur scène du début à la fin, le temps d’une vie, de la naissance à la mort.

Tout en parlant, ils tournent en rond sur l’étroitesse de la scène, qui montre qu’ils ne font qu’un mais aussi le peu de place accordé aux libres échappés. Derrière eux un écran géant projette la légèreté du ciel, peu à peu couvert d’imposantes fleurs blanches qui obstruent l’horizon.

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On se croirait dans un purgatoire, Jean-Luc Lagarce juge la vie au crépuscule de son existence. La progressive pesanteur des bonnes manières y ressort de partout.

Au départ dénudés, les comédiennes et comédiens sont aussi de plus en plus vêtus. «Tout au long de la vie on s’habille, explique Christophe Bauzet. Si bien qu’à la fin on est bien habillé, mais on est dans un cercueil.» Ils croulent aussi sous les valises dans la petitesse de la scène. «Quand on naît on hérite des valises de la famille et des codes sociaux, ajoute-t-il. Elles sont lourdes mais on les trimbale jusqu’à la fin.»

L’adaptation musicale d’Adam Perry, tout droit sortie des années 1950, sert aussi le propos. «Elle est un peu kitsch, commente Christophe Bauzet, puisqu’on parle de codes du début du XXe siècle. Les chansons sont retravaillées comme si on cherchait une meilleure fréquence radio, sans jamais la trouver. On est toujours en léger décalage.»

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne lève le rideau sur les coulisses de l’existence, et reste en tête comme un songe avisé.

Les règles du savoir-vivre dans la société moderne est présentée par La Machine à Dire, jusqu’au 3 mai à 20h au Théâtre Glendon (Pavillon York, 2275 Bayview Ave). Billets au 416-924-1789 ext.1, 15 $, 12 $ pour membres et étudiants de l’Alliance française.

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