La franchise de Jean Chrétien

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Publié 19/02/2008 par Paul-François Sylvestre

Jean Chrétien aime dire «on va parler franchement» ou «pour être franc…». Dès les premières pages du récit de ses dix années à la tête du gouvernement du Canada, il nous dit franchement que «faire de la politique, c’est convoiter le pouvoir, le prendre, l’exercer et le conserver». Plus une personne réussit à ce jeu, plus la passion l’habite et lui procure des satisfactions sans nombre. Pas étonnant que cette autobiographie s’intitule Passion politique.

Au yeux de Chrétien, «gouverner, ce n’est pas seulement régler des problèmes, c’est aussi créer un climat positif dans le pays». Le Premier ministre croit que la qualité de vie et l’économie d’un pays reposent sur les milliers de décisions que les gens prennent chaque jour.

«Si les gens sont inquiets ou tristes, ils ne pensent pas en fonction de l’avenir […] si les gens sont heureux et confiants, ils dépensent, ils investissent, ils bâtissent.»

C’est aussi simple que cela. Et lorsqu’on lui reprochait de manquer de vision, Chrétien répondait: «Je veux que le Canada devienne le meilleur pays au monde, pas plus, pas moins. Imaginez si j’avais une vision!»

L’ex-Premier ministre est un homme ordonné et ponctuel. Lorsqu’il préside ses séances du cabinet, le mardi, elles commencent à 10 heures précises et se terminent à midi pile.

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Il prend une demi-heure pour faire un survol des grandes questions de l’heure, puis suit l’ordre du jour, article par article, pour approuver ceci ou cela ou demander plus de réflexion. Il termine la séance en lisant les dernières nominations gouvernementales, «chose que tout le monde voulait entendre».

Jean Chrétien est évidemment fier de son bilan économique, fier d’avoir éliminé les déficits et d’avoir créer des surplus. En rétrospective il n’hésite cependant pas à dire que son gouvernement a trop sabré dans les dépenses, notamment en matière d’investissements dans l’innovation technologique et les institutions culturelles.

Il regrette d’avoir fermé le Collège militaire royal de Saint-Jean-sur-Richelieu lors du budget de 1994. «Nous nous sommes trompés.»

Sur la scène internationale, Chrétien a frayé avec nombre de leaders, notamment lors des réunions du G8 ou de l’APEC. Il s’entendait bien avec Bill Clinton, politiquement et sportivement (golf).

Il écrit que le Président américain «admirait notre pratique du multiculturalisme et du bilinguisme d’État. Il nous enviait aussi d’avoir maîtrisé ces enjeux sociaux que sont le contrôle des armes à feu, la décriminalisation de la marijuana et de l’avortement sans subir de ressac de la part de la droite». Lorsqu’une revue américaine a traité Clinton de «Canadien déguisé» à cause de ses idées et de ses programmes progressistes, le Président a répondu qu’il «trouvait le mot flatteur».

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Au sujet d’Hillary Clinton, l’ex-Premier ministre ne manque pas de souligner son admiration.

«Chaque fois que j’étais assis à côté d’elle à un dîner officiel, plutôt que d’entendre parler des finesses de mes petits-enfants, elle voulait savoir comment j’avais maîtrisé les problèmes que posaient la santé ou la réforme de l’aide sociale. Tout l’intéressait, elle était bien informée, elle était intelligente, extrêmement plaisante aussi.»

Comme on peut s’y attendre, plusieurs pages de Passion politique tournent autour de Paul Martin. Chrétien avoue lui en avoir voulu «pendant un jour ou deux», assez pour songer à lui retirer les Finances, pour «annuler les contrats du gouvernement que [Martin] avait glissé à ses amis et conseillers chez Earnscliffe».

Les conseillers Jean Pelletier et Eddie Goldenberg ont dissuadé Chrétien en faisant valoir que cela entraînerait une mauvaise réaction dans les milieux financiers. Aujourd’hui, Chrétien regrette d’avoir écouté ses conseillers politiques.

Sur le plan personnel, ce qui a fait la plus grande fierté de l’ex-Premier ministre, c’est d’avoir eu l’honneur de conduire le Canada vers un nouveau millénaire, comme l’avait fait son héros Wilfrid Laurier en 1900.

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Chrétien estime l’avoir fait «avec la même prospérité économique, la même harmonie sociale, les mêmes bras ouverts et les mêmes valeurs de tolérance, de liberté et d’espoir».

Sur une note encore plus personnelle, Jean Chrétien clame haut et fort que son épouse Aline a été, est et sera toujours son roc de Gibraltar.

Elle est sa plus proche confidente, la conseillère qu’il écoute le plus, celle qui le connaît le mieux. «Lorsque je l’ai rencontrée à l’âge de dix-huit ans, et qu’elle en avait seize, ç’a été le plus beau moment, le moment le plus important de ma vie.»

Plus loin, l’ex-Premier ministre écrit qu’il aimait à dire que le Canada était dirigé par trois femmes: «la gouverneure générale [Adrienne Clarkson], la juge en chef [Beverley McLachlin] et ma femme».

Le récit autobiographique de ces dix ans au pouvoir se termine comme il a commencé, c’est-à-dire avec franchise: «Pour être franc, disons que je n’ai pas fait ce que j’ai fait seulement pour la gloire du pays. Il y avait aussi le pur plaisir, le pur plaisir du sport.»

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Jean Chrétien, Passion politique, autobiographie, Éditions du Boréal, Montréal, 2007, 464 pages, 32,50$.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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