Les 22 et 24 février prochains sera présenté à la cinémathèque Ontario La France, le saisissant film musical de Serge Bozon sur la guerre de 1914-18, aux accents oniriques et réalistes. Vainqueur du trophée Jean Vigo récompensant l’indépendance d’esprit et la singularité du style, c’est peut-être votre unique chance de le voir sur grand écran en Amérique du Nord.
Le nouveau film de Serge Bozon (Mods; L’Amitié), avec Sylvie Testud et Pascal Greggory, nous plonge dans l’étrange errance d’un bataillon français perdu dans l’absurdité de la Première guerre mondiale. On traverse avec eux les luxuriants paysages de France et l’on s’engouffre dans le désert de solitude qui les entoure. Bercé par une déconcertante musique pop des années 60, le film détonne et vise juste, bouleversant de sincérité.
Tout est affaire d’impostures et de non-dits. Ici on fait ressentir la désolation de la guerre sans jamais la montrer, et parle de la souffrance de l’âme avec des chansons pop inspirées des Beach Boys. Faire voir l’invisible et entendre l’inaudible par des contrastes inespérés, tel est le tour de force réussi par le réalisateur.
On y suit une jeune épouse (Sylvie Testud) partie désespérément à la recherche de son mari, s’engager dans la guerre et rejoindre un bataillon fuyant le front. Habitée par l’omniprésente absence de son conjoint, elle s’engouffre dans la brume avec ces soldats que plus rien n’habite. Pascal Greggory y interprète à merveille un lieutenant désabusé, presque éteint, qui ne vit déjà plus que pour mener ses hommes loin de ce cauchemar, si c’est encore possible. Il crève l’écran par son effacement, et parvient à incarner ce qu’il y a de plus dur: la désincarnation même.
Plus qu’un film de guerre, c’est une oeuvre qui nous parle d’errance, de solitude et de rêve. Mais aux clairs de lune bleutés et aux poussées musicales oniriques répondent le style réaliste de la prise de vue et la simplicité des paysages. Quand la musique surgit brusquement du silence de la guerre, après une demi-heure de film, elle est jouée par les acteurs eux-mêmes, avec leur voix ordinaire et leur regard hagard.