La France, de Serge Bozon: silence de guerre et musique pop

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Publié 12/02/2008 par Ulysse Gry

Les 22 et 24 février prochains sera présenté à la cinémathèque Ontario La France, le saisissant film musical de Serge Bozon sur la guerre de 1914-18, aux accents oniriques et réalistes. Vainqueur du trophée Jean Vigo récompensant l’indépendance d’esprit et la singularité du style, c’est peut-être votre unique chance de le voir sur grand écran en Amérique du Nord.

Le nouveau film de Serge Bozon (Mods; L’Amitié), avec Sylvie Testud et Pascal Greggory, nous plonge dans l’étrange errance d’un bataillon français perdu dans l’absurdité de la Première guerre mondiale. On traverse avec eux les luxuriants paysages de France et l’on s’engouffre dans le désert de solitude qui les entoure. Bercé par une déconcertante musique pop des années 60, le film détonne et vise juste, bouleversant de sincérité.

Tout est affaire d’impostures et de non-dits. Ici on fait ressentir la désolation de la guerre sans jamais la montrer, et parle de la souffrance de l’âme avec des chansons pop inspirées des Beach Boys. Faire voir l’invisible et entendre l’inaudible par des contrastes inespérés, tel est le tour de force réussi par le réalisateur.

On y suit une jeune épouse (Sylvie Testud) partie désespérément à la recherche de son mari, s’engager dans la guerre et rejoindre un bataillon fuyant le front. Habitée par l’omniprésente absence de son conjoint, elle s’engouffre dans la brume avec ces soldats que plus rien n’habite. Pascal Greggory y interprète à merveille un lieutenant désabusé, presque éteint, qui ne vit déjà plus que pour mener ses hommes loin de ce cauchemar, si c’est encore possible. Il crève l’écran par son effacement, et parvient à incarner ce qu’il y a de plus dur: la désincarnation même.

Plus qu’un film de guerre, c’est une oeuvre qui nous parle d’errance, de solitude et de rêve. Mais aux clairs de lune bleutés et aux poussées musicales oniriques répondent le style réaliste de la prise de vue et la simplicité des paysages. Quand la musique surgit brusquement du silence de la guerre, après une demi-heure de film, elle est jouée par les acteurs eux-mêmes, avec leur voix ordinaire et leur regard hagard.

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«C’est étrange mais c’est comme ça, les oiseaux ont chanté puis se sont tus, quand la nuit a commencé à tomber», récite face caméra l’un de ces poilus de fortune, d’une lettre qu’un de leur compagnon avait écrit avant de disparaître et qui hante secrètement leur mémoire.

De là se crée une atmosphère particulière, pleine du vide ressenti par ces orphelins de circonstance, faisant jaillir de leur vagabondage forcé l’absurdité de la situation. Lentement on erre avec eux dans ces paysages toujours neutres d’une France en conflit, croisant quelques funestes silhouettes ennemies au loin, comme des fantômes improbables qu’ils sont peut-être eux-mêmes devenus. Inlassable, ils marchent sans but vers une Atlantide qui les fait rêver et qu’ils n’arrêtent pas d’évoquer.

Devant la caméra de la talentueuse sœur du réalisateur Céline Bozon, deux soldats ne peuvent plus retracer dans l’herbe leur long voyage: ils se sentent «comme des petites fourmis» perdues dans l’immensité de la guerre des hommes. Film d’itinéraire fuyant plus que d’histoire officielle, La France retrouve ici une échelle humaine et ose d’étonnantes influences anglo-saxonnes.

Malgré une chute un peu invraisemblable, Serge Bozon fait preuve d’un talent exceptionnellement novateur et d’une poésie de la réalité qui sonne comme une vieille et douce chanson d’avant-garde.

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