La Cour suprême a commencé la traduction de 24 anciens jugements

jugements, Cour suprême du Canada
L'édifice de la Cour suprême du Canada, à Ottawa. Photo: Tom Carnegie
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 31/07/2025 par Julien Cayouette

La Cour suprême du Canada a entamé la traduction de 24 jugements faits avant 1970 au cours des prochaines années. Cette avancée modeste ne satisfait pas des acteurs de la justice en français au Canada.

En début d’année, la Cour suprême a mis sur pied un comité indépendant chargé d’établir une liste d’une vingtaine de jugements à traduire.

Le comité a dû établir une méthodologie lui «permettant d’identifier les décisions qui sont les plus pertinentes jurisprudentiellement pour le développement du droit contemporain», explique le comité dans son rapport final.

373 décisions souvent citées

À partir de consultations auprès de juristes, de listes existantes et de sondages, la sélection initiale a permis d’identifier 373 décisions régulièrement citées ou consultées par des juges, des avocats, des professeurs, des étudiants et le grand public.

Cour suprême
Richard Wagner, juge en chef du Canada.

Ces décisions ont été réparties en cinq catégories. En recoupant les listes, le comité a retenu celles qui revenaient le plus souvent et celles jugées les plus pertinentes pour le droit moderne.

Publicité

Parmi les 24 jugements choisis, 17 ont été rédigés uniquement en anglais à l’origine. Les sept autres contiennent des sections en anglais et en français. Depuis 1970, la Cour publie toujours ses décisions dans les deux langues officielles.

Aucune décision ne touche directement une cause concernant les langues officielles, puisque lorsque la Cour a commencé à entendre des causes concernant la Chartes des droits et libertés et la Loi sur les langues officielles, elle publiait déjà ses jugements dans les deux langues officielles.

Une des décisions sélectionnées était déjà en cours de traduction. Il s’agit de Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121, qui établit que les autorités publiques ne peuvent pas abuser de leur pouvoir discrétionnaire. Elle devrait être disponible au cours de l’automne.

Des traductions non officielles

Seul bémol, ces traductions ne seront pas officielles. La Cour suprême soutient que c’est impossible, puisque les juges qui les ont rendues ne pourront pas les approuver. Les versions originales seront les seules qui auront encore force de droit.

cour suprême
Rénald Rémillard.

Ce progrès est «modeste», selon la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. (FAJEF), puisqu’il s’agit de 24 décisions sur 6000.

Publicité

«La Fédération croit qu’à titre de juridiction de dernier ressort depuis 1949, la Cour suprême du Canada a le devoir de rendre accessible en français toutes ses décisions avant 1970 puisque celles-ci sont importantes pour des fins juridiques, ainsi qu’historiques ou éducatives», indique le directeur général, Rénald Rémillard, par courriel.

La présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta partage cette opinion. «L’AJEFA croit aussi que l’absence de la traduction de ces milliers de décisions uniquement en anglais continuera de soulever des débats vifs sur la place publique», écrit Me Elsy Gagné à Francopresse.

Respect de la Loi sur les langues officielles

Le commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, a statué deux fois – en 2023 et 2024 – que le plus haut tribunal du pays ne respectait pas la Loi sur les langues officielles (LLO), puisque les 6000 décisions rendues par la Cour avant 1970 n’étaient pas disponibles dans les deux langues officielles sur son site Web.

«Je conclus que toutes les décisions que la Cour suprême publie sur son site Web devraient être dans les deux langues officielles puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale», avait écrit le commissaire dans son rapport final.

En réponse, la Cour suprême a toujours soutenu que les coûts de traduction de ses anciens jugements seraient beaucoup trop élevés. Une position qui va à l’encontre de certaines anciennes décisions de la Cour elle-même: les ressources financières ne constituent pas un argument valable pour contrevenir à la LLO.

Publicité

Après le dépôt du deuxième rapport du CLO, la Cour suprême a retiré de son site, le 8 novembre 2024, toutes les décisions rendues avant 1970. Elle avait alors annoncé son intention d’en traduire certaines.

DCQ persiste et signe

L’organisme Droits collectifs Québec (DCQ) était à l’origine de la deuxième plainte au Commissariat.

Quelques jours avant le retrait des anciennes décisions du site de la Cour suprême, DCQ a déposé une poursuite en Cour fédérale contre le Bureau de la registraire de la Cour suprême du Canada, pour non-respect de la LLO et pour forcer la traduction de tous les jugements.

Cour suprême
Étienne-Alexis Boucher.

Cette annonce de 24 traductions ne refroidit en rien les ardeurs de DCQ. «On va poursuivre nos procédures, ça ne change absolument rien à ce qu’on a initié», affirme son directeur général, Étienne-Alexis Boucher.

Ils ont d’ailleurs déposé leur argumentaire de 600 pages à la Cour fédérale le 28 juillet, la veille de l’annonce de la Cour.

Publicité

Non seulement le nombre de traductions est insuffisant, mais DCQ conteste aussi le fait que les traductions ne seront pas officielles. Étienne-Alexis Boucher rappelle que la LLO exige que l’anglais et le français doivent avoir un poids égal au Canada.

Il s’élève aussi contre l’argument de la Cour selon lequel les traductions ne peuvent pas être approuvées par les juges qui les ont rendues. «Quand la Cour suprême du Canada a exigé que la province du Manitoba traduise l’ensemble de ses lois, ils n’ont jamais pensé demander de consulter le fantôme de Louis Riel.»

Néanmoins, Étienne-Alexis Boucher se dit encouragé par ce pas en avant, car DCQ «pense y voir là la démonstration de la force de notre position juridique».

«La Cour suprême n’aurait pas bougé si on avait tort, si on disait n’importe quoi. Donc, on salue ce premier geste.»

Auteurs

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur