La caricature au bout de la langue

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Autocensure: pastiche de Escher par Bado.
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Publié 08/08/2023 par Marine Ernoult

La satire a-t-elle une langue? Si les référents et les coups de crayon peuvent être différents entre les Canadiens francophones et anglophones, les caricatures sont aussi liés à la ligne éditoriale des journaux. L’explosion des réseaux sociaux a également chamboulé un métier qui fait les frais de la situation budgétaire des journaux.

Mêlant texte et image, la caricature est à la fois journalistique et artistique, plaisante et irritante. Elle porte en elle l’offensive et la polémique, provoque souvent le rire, parfois la colère.

«Les caricaturistes sont en première ligne face à l’histoire, leurs dessins sont une première lecture des évènements d’actualité, la toute première réaction artistique», estime Dominic Hardy, professeur d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal.

Mais cet objet d’humour revendiqué, libre et insoumis, a-t-il une langue? Les caricaturistes canadiens francophones ont-ils la même manière d’aborder la satire que leurs homologues anglophones?

«Il y a une relation entre la langue et le dessin. Les références ne sont pas forcément les mêmes, ce qui appelle des types de gags différents auxquels une communauté linguistique va réagir et pas une autre», analyse Dominic Hardy.

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Autrement dit, comme le comique et l’ironie, la caricature est compréhensible dans le cadre d’une communauté qui en partage les codes symboliques et les attendus idéologiques.

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Dominic Hardy. Photo: courtoisie

Des traditions satiriques qui s’ignorent

«Les références culturelles se traduisent dans le dessin, poursuit Guy Badeaux», dit Bado, caricaturiste de Francopresse et du journal Le Droit. «Je dirais que les anglophones font du cinéma avec des dessins assez fouillés, tandis que les francophones font plus du théâtre avec des images plus sobres, un trait plus économique.»

Dominic Hardy note un clivage historique dans la manière de faire du dessin satirique entre la presse francophone et anglophone.

«Les traditions satiriques ont toujours été foisonnantes, mais pendant longtemps elles ont semblé s’ignorer. Ça renvoie à l’idée des deux solitudes. Les deux humours ne correspondaient pas», relève l’historien.

«Au fil du temps, les sujets d’actualité communs se sont multipliés entre le Canada anglais et français», ajoute-t-il.

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Les journaux francophones en milieu minoritaire comptent peu de caricaturistes. Au Manitoba, Réal Bérard, alias Cayouche, travaille notamment pour La Liberté, tandis qu’au Nouveau-Brunswick, Marcel Boudreau croque pour L’Acadie Nouvelle.

«Il existe une tradition satirique très forte au sein de la Francophonie qui unit les francophones partout au pays», assure néanmoins Ersy Contogouris, professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. 

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Ersy Contogouris. Photo: courtoisie

«On se bat toujours pour nos idées»

Chaque caricaturiste a également sa propre grammaire visuelle humoristique. «C’est un art de nature plurielle. Il y a autant de styles artistiques que de dessinateurs», confirme Ersy Contogouris.

À ses yeux, l’humour s’inscrit avant tout dans la ligne éditoriale du journal pour lequel travaille le caricaturiste.

«Le ton de la satire va dépendre des orientations politiques et idéologiques. Chaque caricaturiste exprime un point de vue différent qui va rejoindre un certain type de public», affirme la spécialiste.

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«Les rédacteurs en chef ont tendance à être plus consensuels, car ils ne veulent pas effrayer les annonceurs. Ils veulent éviter les procès, mais on se bat toujours pour nos idées», souligne Bado.

Vagues de disparition

Les caricaturistes, qu’ils soient francophones ou anglophones, paient le prix fort de la crise de la presse.

«C’est une hécatombe. Le nombre de dessinateurs permanents dans les quotidiens canadiens fond comme neige au soleil», déclare, amer, le caricaturiste Bado. Seul le Québec, où chaque journal a encore son caricaturiste attitré, est épargné par cette tendance.

«Les voix de la caricature semblent de plus en plus diminuées, mais je ne crains pas la disparition du métier, tempère Dominic Hardy. La relève existe, elle s’investit dans des formes de publication alternatives, comme le roman graphique.»

Bado reste, lui, pessimiste sur l’avenir de la profession : «C’est un art d’équilibriste qui ne semble plus susciter de vocations. Il faut à la fois avoir le sens de l’humour, des talents de dessinateur et de journaliste.»

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Guy Badeaux (Bado). Photo: Le Droit, Patrick Woodbury

Choisir ses cibles

Quelle que soit leur langue, les dessinateurs de presse doivent tous s’adapter à un espace public bouleversé où les images circulent à la vitesse de la lumière.

Avec les journaux papier, le public était défini et prévisible, mais l’arrivée des réseaux sociaux a mondialisé le métier, explique Ersy Contogouris.

«Chacun a la possibilité d’exprimer ses colères, ses états d’âme et ses indignations. Les caricaturistes ont pris conscience de l’effet de leurs caricatures sur divers publics», constate la chercheuse.

Les flux d’informations mondiaux permettent aux caricatures de voyager en quelques secondes à l’autre bout de la planète, dans un monde qui ignore tout de l’environnement culturel et politique qui les a vues naitre.

«Aujourd’hui, on doit faire plus attention qu’avant aux stéréotypes», corrobore Bado.

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L’arme critique doit plus que jamais se conjuguer avec le respect de la dignité, dans une société canadienne pluraliste et multiethnique qui ne partage pas toujours les mêmes repères culturels et religieux.

«La caricature doit s’attaquer au pouvoir plutôt qu’aux gens déjà vulnérables», considère Bado.

«À son meilleur, la satire défend l’intérêt public et dégonfle les prétentions du pouvoir», renchérit Dominic Hardy.

Où sont les femmes?

Bado à Francopresse, Cayouche à La Liberté, Jean-Claude Boudreau à L’Acadie Nouvelle, Godin au Devoir ou encore André-Philippe Côté au Soleil… La grande majorité des caricaturistes canadiens sont des hommes.

Selon l’historienne de l’art Ersy Contogouris, la raison est liée aux stéréotypes sur la féminité.

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«Pendant très longtemps, la société patriarcale a découragé le rire des femmes. Elles n’avaient soi-disant pas le sens de l’humour, observe la professeure à l’Université de Montréal. La transgression était mal vue chez elles alors que c’est au cœur de la caricature.»

Les femmes n’ont pas voix au chapitre et cela se ressent dans les dessins. «L’humour de certaines caricatures misogynes contribue à banaliser la violence envers les femmes», regrette Ersy Contogouris.

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