La bile d’ours commercialisée bien avant la CoViD-19

Un marché de plus d'un milliard de dollars

Une pétition qui circule en ce moment prétend que la Chine sacrifie des milliers d’ours pour leur bile afin de combattre la CoViD-19. En réalité, la bile d’ours est un marché lucratif depuis longtemps.
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Publié 24/04/2020 par Stéphane Desjardins

Une pétition qui circule en ce moment prétend que la Chine sacrifie des milliers d’ours pour leur bile afin de combattre la CoViD-19. En réalité, la bile d’ours est un marché lucratif depuis longtemps. Elle faisait l’objet d’un commerce mondial bien avant cette pandémie.

Le Tan Re Qing est une préparation de la médecine chinoise traditionnelle censée soulager des maux comme la bronchite et les affections respiratoires — en plus d’être autorisée par la Commission nationale de la santé chinoise, depuis le 4 mars, pour traiter les cas sévères ou critiques de la CoViD-19.

Son principal élément actif (elle en compte près d’une centaine) est l’acide ursodéoxycholique, issu de la bile d’ours noir.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement avéré contre la CoViD-19.

Médecine moderne

En médecine moderne, l’acide ursodéoxycholique est surtout utilisé pour traiter différents types de cholestase chronique, un trouble du foie, des canaux biliaires ou du pancréas, qui entraîne une diminution de la sécrétion biliaire provoquant notamment la jaunisse ou des démangeaisons (prurit).

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L’acide ursodéoxycholique est aussi utilisé pour les traitements de dissolution des calculs rénaux. Une étude sino-australienne de 2015 confirme que le médicament entraîne des effets secondaires minimes pour les patients.

Médecine traditionnelle

En médecine traditionnelle chinoise par contre, la bile d’ours est utilisée pour traiter cancers, rhumes et gueule de bois. Aucune étude scientifique solide n’a prouvé son efficacité. On s’en sert également comme ingrédient actif dans certains dentifrices, dans des traitements pour l’acné, des shampoings et des tisanes.

Pourquoi les ours noirs? Parce qu’ils sont reconnus pour sécréter davantage de bile que les porcs, les vaches, les humains ou la plupart des mammifères.

La décision d’autoriser le Tan Re Qing pour le traitement de la CoViD-19 intervient pourtant un mois après le bannissement par la Chine de la consommation de viande d’animaux sauvages, dont le commerce (souvent dans des marchés publics) est soupçonné d’être un des facteurs d’éclosion d’épidémies de type zoonose (virus passant d’animaux à humains), dont fait partie la CoViD-19.

Un commerce mondial

La bile d’ours noir est principalement récoltée par cathéter, directement dans les organes d’ours maintenus en captivité dans des fermes spécialisées. Plusieurs études estiment que les fermes biliaires chinoises comptent entre 10 000 et 12 000 individus, principalement des ours noirs asiatiques (Ursus thibetanus).

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Les conditions d’élevage sont régulièrement dénoncées par les défenseurs des droits des animaux. L’industrie s’est étendue au Vietnam, au Laos, au Myanmar et en Corée du Sud. Certaines sources estiment sa capacité mondiale à 24 000 individus.

Ces fermes biliaires ont été introduites dans les années 1980 pour contrer la chasse d’ours sauvages, toutefois préférée par une partie des consommateurs, qui croient que le principe actif est plus puissant chez les animaux en liberté.

Saisies au Canada

Résultat, on trouve des vendeurs jusqu’au Canada: une saisie d’une centaine de vésicules d’ours, menée en juillet 2018 par la Sûreté du Québec, a mené à l’arrestation de 64 braconniers et trafiquants au Saguenay, au Lac-Saint-Jean, en Mauricie, à Laval et au Nouveau-Brunswick. La marchandise était évaluée à un million de dollars.

En 2018, une vésicule biliaire pouvait se vendre jusqu’à 10 000 $ sur le marché de la contrebande, selon Environnement Canada. Un trappeur obtient entre 100 $ et 250 $ par vésicule. La bile d’ours est bannie par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

480 fermes

Le commerce de la bile d’ours est principalement asiatique (Chine, Japon, Malaisie, Taiwan, Thaïlande, Vietnam). Mais des pays comme l’Australie, les États-Unis et le Canada représentent des marchés importants. Un médicament à base de bile d’ours est même affiché sur Amazon (mais les stocks étaient épuisés au moment d’écrire ces lignes).

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Plusieurs sources, dont une étude publiée le 1er avril dernier par le Dr Jan Smith-Burbach pour la World Animal Protection Society, rapportent que le marché pharmaceutique mondial annuel de la bile d’ours est évalué de manière conservatrice entre 1 et 1,6 milliard $US. L’industrie compterait près de 114 producteurs et environ 480 fermes.

Alternative synthétique

Cet acide serait synthétisé en laboratoire depuis deux décennies.

La compagnie  Kaibao Pharmaceuticals, qui produit environ 50% de la bile d’ours consommée en Chine et qui est cotée à la Bourse de Shenzhen, annonçait récemment qu’elle avait reçu des subventions gouvernementales de 12 millions de Yuans (2,4 M$CAN) pour mettre au point une alternative synthétique à partir de bile de poulet, rapportait The Guardian en avril 2015.

Nous n’avons pu confirmer si le résultat de ces recherches avait été commercialisé.

Auteur

  • Stéphane Desjardins

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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