«Ici Marcel Ouimet», directement de la Deuxième Guerre mondiale

Marcel Ouimet
Marcel Ouimet avec sa machine à écrire, lors de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était en Italie, en septembre 1943. Photo: Bibliothèque et Archives Canada/Fonds du ministère de la Défense nationale/e010935271, domaine public
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Publié 03/11/2024 par Marc Poirier

Des plages de Normandie au bunker d’Hitler à Berlin, Marcel Ouimet a parcouru l’Europe dévastée lors de la Seconde Guerre mondiale pour témoigner, sur les ondes de Radio-Canada, du plus grand conflit du XXe siècle. Pourtant, ce pionnier du métier de correspondant de guerre reste plutôt méconnu.

Né à Montréal en 1915, Marcel Ouimet a 2 ans lorsque sa famille déménage à Ottawa, où il grandira, étudiera et fera ses premières armes en journalisme. Son père, Paul G. Ouimet, était responsable de la traduction à la Chambre des Communes.

C’était l’époque du Règlement 17 adopté par le gouvernement de l’Ontario pour limiter l’usage du français dans les écoles de la province. Le pays était par ailleurs plongé dans le débat sur la conscription, alors que la Première Guerre mondiale faisait toujours rage.

Lorsqu’il termine ses études en sciences politiques à l’Université d’Ottawa, en 1934, Marcel Ouimet décroche aussitôt un premier boulot au journal franco-ontarien Le Droit d’Ottawa. Peu de temps après, il obtient une bourse pour étudier les sciences sociales et politiques à Paris pendant deux ans.

À son retour au Canada, en 1939, il reprend la plume au Droit, mais sa jeune carrière prend un tournant déterminant.

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Marcel Ouimet
Marcel Ouimet en 1946 lors d’un enregistrement pour l’émission À ceux qui reviennent, sur Radio-Canada. Photo: Conrad Poirier, BAnQ, Wikimedia Commons, domaine public

D’Ottawa à Londres

Pendant son séjour en France, Le Droit avait fait l’acquisition de la station de radio CKCH de Hull, maintenant Gatineau, au Québec, qui était une station affiliée à Radio-Canada, fondée quelques années auparavant.

Le journal avait fait aménager dans ses bureaux une cabine d’où ses journalistes, dont Marcel Ouimet – et, incidemment Jules Léger, futur gouverneur général du Canada –, présentaient quotidiennement des bulletins de nouvelles.

Marcel Ouimet est alors recruté par Radio-Canada comme annonceur en prévision de la visite royale du roi George VI et de la reine Élisabeth (parents d’Élisabeth II).

À l’époque, le diffuseur public de langue française n’a pas de service de nouvelles. Les informations qu’il livre en ondes sont préparées par la Presse canadienne et traduites.

Quand la guerre éclate en Europe en septembre 1939, Radio-Canada décide de se doter de son propre réseau de nouvelles et il en confie la tâche au jeune Marcel Ouimet. À 25 ans, celui-ci devient, en janvier 1941, le chef de la première salle de rédaction de Radio-Canada.

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La société publique envoie quelques correspondants de guerre pour couvrir le conflit, mais ceux-ci sont essentiellement confinés à Londres, d’où ils décrivent la guerre.

Marcel Ouimet au front

En 1943, Marcel Ouimet part pour l’Europe avec deux autres journalistes, Benoit Lafleur et Paul Barette. Ils accompagnent les troupes canadiennes et britanniques sur le terrain. Mais Marcel Ouimet se démarquera rapidement, d’abord en Italie où les Alliés mènent une première campagne.

Le journaliste Ouimet préparera des reportages touchants sur la présence des soldats canadiens qui vivent une première période de Noël loin des leurs.

Il est ensuite rapatrié à Londres où on se prépare pour une opération encore plus importante, celle qui marquera la Seconde Guerre mondiale: le débarquement de Normandie.

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Marcel Ouimet est aux premières loges en ce 6 juin 1944. Il est de la deuxième vague d’assaut qui prend pied sur les plages de Bernières-sur-Mer, deux heures après que les premiers soldats alliés eurent débarqué.

Extrait d’un reportage de Marcel Ouimet lors du jour J: «Tout semble irréel. Sur le front, officiers de l’armée et de la marine, soldats et marins suivent le progrès de l’opération. Nous nous rapprochons constamment de la côte. C’est à ce moment que les petites embarcations de débarquement nous dépassent. Elles transportent les troupes d’assaut massées, l’arme au bras, coiffées de leur casque d’acier, ne portant que le strict nécessaire, leur masque à gaz et des rations pour 24 heures, leur gamelle, leurs pansements de premiers secours. […] Une fumée grise et noire commence à envelopper le village et quelques maisons sont en feu au moment où les premiers soldats se précipitent sur la plage. De loin, nous pouvons les voir monter à l’assaut au milieu des tirs de mitrailleuses, au milieu des mortiers et des obus que tirent certaines batteries allemandes qui n’ont pas encore été réduites au silence.»

Plusieurs jeunes soldats tomberont au combat et, comme le racontait Marcel Ouimet, ils feront «leur dernier sommeil sur ce sol riche que des Français ont quitté pour aller fonder la Nouvelle-France».

La Libération

Au cours des semaines et des mois suivants, Marcel Ouimet sera sur place lors de la libération de Paris et témoignera de «la joie du peuple, une véritable explosion». Il continue d’accompagner les troupes jusqu’aux Pays-Bas, où on apprend la prise de Berlin et le suicide d’Adolf Hitler.

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Accompagnant le Régiment de la Chaudière, l’intrépide correspondant parcourt quelques villes allemandes dévastées pour se rendre jusqu’à la capitale du Troisième Reich.

Il pénètre même dans les ruines du bunker du führer, l’un des seuls journalistes alliés à avoir eu ce privilège. Il y récupère quelques décorations qu’Hitler distribuait à ces officiers méritants et les envoie à son parton, le directeur général de Radio-Canada, Augustin Frigon.

Marcel Ouimet
L’extérieur du bunker d’Adolf Hitler détruit lors de la prise de Berlin. Marcel Ouimet a pu y pénétrer. Photo: Wikimedia Commons, Archives fédérales allemandes, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 3,0

Pendant cette période, un autre jeune journaliste canadien-français est témoin de l’offensive et de la victoire des Alliés en Europe: René Lévesque, futur premier ministre du Québec, qui est pour sa part correspondant pour l’armée américaine.

Marcel Ouimet revient en France, assez longtemps pour couvrir le procès du maréchal Pétain, celui qui avait décidé de pactiser avec le dictateur allemand et de lui soumettre sans combat la partie nord de la France.

Au cours de ses 18 mois en service en Europe, Marcel Ouimet a produit près de 200 reportages sur le front, majoritairement en français.

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Marcel Ouimet est resté assez longtemps en France après la guerre pour suivre le procès du maréchal Philippe Pétain. Photo: Wikimédia Commons, Domaine public

De journaliste à directeur général

Pendant l’après-guerre, Marcel Ouimet grimpe rapidement les échelons de l’administration de Radio-Canada. Dès son retour, il est nommé à un poste de direction et devient quelques années plus tard vice-président puis directeur général du réseau français.

C’est sous sa gouverne que Radio-Canada étend ses ailes et ses antennes à l’extérieur du Québec, avec une première station à Moncton, en 1954.

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René Lévesque était un autre journaliste canadien-français sur le terrain, avec l’armée américaine, pendant la Seconde Guerre mondiale. Photo: Wikimédia Commons, Domaine public

Ses années de correspondant de guerre auront marqué la profession de journalisme, selon Marc Laurendeau, qui a réalisé une série radiophonique sur les correspondants et envoyés spéciaux de Radio-Canada.

Pour lui, Marcel Ouimet était de la trempe des grands journalistes. «Il était l’équivalent d’un [Ernest] Hemingway, correspondant de guerre aussi. […]. C’est un pionnier du journalisme international. C’est un modèle pour plusieurs générations de journalistes, pour ses reportages en particulier sur le débarquement en Normandie, qui sont d’une grande, grande, grande sensibilité.»

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