Histoire d’@

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Publié 21/02/2006 par Paul-François Sylvestre

L’arobase ou @ est aujourd’hui une icône de la modernité, un symbole commun, une évidence. On retrouve ce petit signe sur les affiches, les tee-shirts et les cartes de visite. Il est devenu banal, tout en demeurant prestigieux. Son origine reste cependant un mystère.

Les grands dictionnaires – Universalis, Robert, Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey – ne sont pas d’un grand secours pour percer le mystère de l’arobase. Les ouvrages de typographie, d’histoire de l’écrit ou de l’imprimerie aident un peu. Le signe @ confond son histoire, en effet, avec celle des techniques de communication des cinq derniers siècles. À la recherche de @, on rencontre l’écriture manuscrite du latin, l’invention de Gutenberg, celle de la machine à écrire, l’histoire du clavier, celle de l’informatique, des taureaux et des commerçants, avant de déboucher sur Internet.

Selon certains historiens, l’ap-parition du @ remonterait au Mo-yen-Âge. Avant l’imprimerie, les co-pistes utilisaient des raccourcis pour gagner du temps et de la place. Le mot «ad» en latin (vers, à) aurait ainsi été comprimé par ce signe. Mais dans les manuscrits couvrant la période 500 à 1200, les «ad» abondent et aucun ne présente de @.

Une deuxième hypothèse serait la normalisation de l’écriture par les imprimeurs à la Renaissance. Selon cette piste, le @ serait une invention des typographes, ce qu’indique une des étymologies du nom français «arobase»: il s’agirait d’une contraction de «a-rond-bas de casse». Hypothèse séduisante, mais les reproductions des premiers livres imprimés en France ou en Italie, vers 1470, regorgent de «ad» tout à fait classiques.

Une troisième hypothèse nous conduit aux commerçants espagnols au xviie siècle. De l’arabe «arrouba», qui donne quatre ou quart dans cette langue, découle l’arrobas, unité ibérique de mesure de poids (environ 12 kilos) tombée en désuétude à partir de 1859 (adoption du système métrique), mais encore utilisée aujourd’hui parfois pour le poids des taureaux dans les corridas. On la signale également au Portugal pour mesurer le volume du vin. Un dictionnaire espagnol de 1909 indique que l’arrobas est symbolisée par @.

Ce qui est certain, c’est que @ était utilisé par les commerçants américains, au xixe siècle, pour précéder un prix unitaire. Cet usage, dans les tarifs imprimés, les étals et les factures n’est pas encore tombé en désuétude. De cette pratique proviendrait le fait de lire «at» le caractère @: «2 books @ $10» se lisant «deux livres à 10 dollars pièce».

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À la même époque, on retrouve l’usage de @ dans les courriers diplomatiques. On s’en servait pour indiquer dans quelle ville était en poste le diplomate qui écrivait: Comte de Macheprot @ Constantinople. Peut-être est-ce là que réside l’ancêtre de l’adresse électronique.

Le signe @ porte toutes sortes de noms: les Américains disent «at» ou «commercial a»; les Allemands, «Klammeraffe» (singe araignée); les Finlandais, «miau» (queue de chat); les Hollandais, «apestaart» (queue de singe); les Israéliens, «strudel», et les Tchèques, «rollmops». La variété des appellations qui procèdent d’une analogie graphique montre bien qu’on ignore un peu partout l’origine et le sens de ce caractère.

Le courrier électronique (ou courriel) est inventé en 1972 par Ray Tomlinson, un ingénieur de BBN, la firme qui servait de support à la première version d’Internet. Dans des interviews, il explique que pour séparer le nom du destinataire de celui de la machine qui hébergeait son courrier, il avait d’abord cherché sur son clavier un caractère qui ne saurait se retrouver dans un nom propre. Plusieurs possibilités s’offraient à lui, mais il choisit @ parce que cela se lirait «at», c’est-à-dire «chez ou à»: smith@bbn signifiait Smith chez BBN. Ce jour-là le vieux caractère retrouva son sens latin de ad, et commença sa plus grande carrière.

Le courriel fut immédiatement utilisé par les scientifiques, les militaires et les informaticiens. Compuserve, un service de télé-informatique comme on disait à l’époque, fut fondée en 1977. Mais il fallut attendre l’invention du web, en 1989, puis la décision du congrès américain d’ouvrir Internet aux activités commerciales en 1992 pour que la pratique du courriel touche le grand public.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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