Il n’y a pas de hausse confirmée des féminicides au Canada

Les statistiques ne permettent pas d’affirmer que les féminicides, ces meurtres commis parce que la personne est une femme, sont à la hausse.
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Publié 21/10/2021 par Ève Beaudin

Ces derniers mois, des manchettes et des publications sur les réseaux sociaux ont suggéré que le nombre de féminicides était en hausse au Canada. Vérifions si les données permettent de le confirmer.

16o meurtres en 2020

Au printemps dernier, dans son troisième rapport annuel #Cestunfémicide, l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation (OCFJR) rapportait un total de 160 femmes et filles assassinées en 2020, au Canada.

Lorsque le meurtrier avait été identifié, il s’agissait d’un homme dans 90% des cas.

À la sortie de ce rapport, des publications sur les réseaux sociaux et dans les médias ont avancé qu’il y avait une «hausse des féminicides» sans précédent au pays… En ajoutant que la pandémie pourrait être un facteur aggravant.

L’OCFJR souligne pourtant dans son rapport qu’en vertu des connaissances actuelles, il n’est pas possible d’affirmer sans équivoque qu’il y a une hausse des féminicides au pays.

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Ça dépend du mobile

Une difficulté se pose quand on parle de féminicide.

Certains utilisent ce terme pour désigner tous les homicides dont la victime est de sexe féminin. Alors que d’autres l’emploient pour cibler uniquement les meurtres de femmes et de filles commis en raison de leur genre.

C’est d’ailleurs la définition retenue par l’OCFJR et de nombreuses autres organisations.

Cette dernière définition rend toutefois plus difficile la tâche de déterminer si, au Canada, le nombre de féminicides augmente.

Les données accessibles, qu’elles proviennent des médias ou des corps de police, identifient rarement le mobile du meurtre en ces termes. On se contente de mentionner la relation entre la victime et la personne accusée… S’il s’agissait d’un conjoint ou d’un inconnu, par exemple.

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Total ou «intimes»: pas de hausse

Pour documenter les féminicides au pays, l’OCFJR procède à une recension des meurtres de femmes et de filles rapportés dans les médias canadiens et ce, depuis 2016.

Les données de son dernier rapport #Cestunfémicide distinguent l’ensemble de ces victimes, des victimes de féminicides dits «intimes» (les victimes entretenaient une relation avec l’accusé), en s’appuyant sur ce qui a été rapporté dans les médias.

Comme la figure 1 l’illustre, il n’y a pas de hausse marquée depuis 2016, autant pour le total des victimes de sexe féminin que pour les victimes tuées par des hommes qu’elles connaissaient.

Un effet covid?

Les données récoltées à la fin de l’année 2020 et depuis le début de 2021 ne permettent pas non plus, pour l’instant, de dégager un impact de la pandémie sur le nombre de féminicides.

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Pour les six premiers mois de 2021, l’OCFJR a compilé 92 meurtres de femmes et de filles au Canada, ce qui pourrait annoncer une année plus meurtrière que la moyenne des dernières années. Mais il faudra attendre la fin de 2021, voire davantage, avant d’avoir assez de données pour parler d’un « effet covid ».

Il est aussi possible que les chiffres des années 2020 et 2021 soient revus à la hausse ou à la baisse selon les conclusions de certaines enquêtes en cours (par exemple, sur les morts suspectes). C’est pourquoi l’OCFJR ne présente pas de conclusions définitives sur l’impact de la pandémie sur les féminicides.

«Il faudra vraiment sortir de la pandémie pour le mesurer», souligne la professeure de sociologie à l’Université du Nouveau-Brunswick et membre de l’OCFJR, Carmen Gill.

«Mais on peut spéculer que la pandémie a eu un impact sur les couples: tensions, pertes d’emploi, séparations… Si on est dans une situation de violence conjugale et qu’on est forcée de cohabiter 24 heures sur 24 avec son agresseur, on peut facilement imaginer l’effet négatif que cela peut avoir.»

Long déclin des meurtres

À plus long terme, la tendance est plus nette. Le professeur en criminologie de l’Université de Montréal Marc Ouimet s’intéresse plus spécifiquement aux variations de la criminalité dans le temps et dans l’espace.

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Il rappelle que le nombre et le taux de femmes victimes d’un homicide ont connu une «baisse constante au cours des 45 dernières années, une tendance qui suit celle des statistiques liées à la criminalité en général».

Les chiffres de l’Enquête sur les homicides de Statistique Canada, dont les données proviennent des différents corps de police au pays, le montrent (figure 2). Le taux de victimes d’homicides par 100 000 habitants est en déclin depuis 1974, autant en ce qui concerne les meurtres d’hommes que les meurtres de femmes.

En fait, une hausse des meurtres d’hommes est observée depuis 2014. Mais selon Marc Ouimet, ce sursaut serait trop récent pour qu’on puisse parler d’une véritable tendance.

Les meurtres de femmes par un conjoint auraient-ils augmenté depuis les dernières décennies? Encore ici (figure 3), les chiffres de Statistique Canada indiquent une baisse entre 1974 et 2020.

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Plusieurs facteurs expliquent ce déclin depuis un demi-siècle. Le vieillissement de la population et le recul de la pauvreté en font partie.

La plus grande acceptabilité sociale du divorce depuis les années 1970 et 1980 pourrait aussi avoir permis d’éviter des meurtres de la part de conjoints qui n’acceptent pas leur séparation. Le divorce est plus rarement vécu comme un événement honteux, stigmatisant.

Les mœurs ont aussi changé au cours des dernières décennies. «Dans les années 1970, un homme qui battait sa femme, ce n’était pas toujours considéré comme un vrai crime par les policiers», rappelle Marc Ouimet. «Aujourd’hui, on considère que c’est sérieux et on encourage les femmes à dénoncer leur agresseur.»

Comprendre le phénomène

Au-delà des statistiques, tenter de comprendre le phénomène du féminicide permet d’identifier des solutions pour prévenir ces meurtres de femmes et de filles en raison de leur genre.

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«Si on sait que, de manière générale, une femme est tuée par son conjoint parce qu’elle a tenté de le quitter», explique Carmen Gill, «on peut travailler de concert avec différents organismes pour trouver de meilleures façons de soutenir les femmes en situation de risque. »

L’OCFJR rappelle que le financement d’urgence accordé récemment par le gouvernement a pu porter fruit et permis d’éviter certains décès depuis le début de la pandémie.

«Ce que nous devrions donc nous demander, ce n’est pas si le nombre de décès a augmenté. Mais plutôt si le financement d’urgence peut être transformé en un financement plus constant et plus soutenu, dans un futur sans pandémie.»

«Cela permettrait à ceux qui travaillent avec les femmes, les enfants et les familles victimes de violence, de réagir plus efficacement parce qu’ils disposent de ressources suffisantes pour le faire», peut-on lire dans leur rapport.

Infographie et collaboration à cet article: Steve Proulx

Auteur

  • Ève Beaudin

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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