Guerres et paix: retour de l’isolationnisme?

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Une colonne de chars russes.
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Publié 01/09/2024 par François Bergeron

La guerre russo-ukrainienne a assez duré. Mais comment y mettre fin? Vladimir Poutine est-il prêt à céder des territoires conquis en échange d’un cessez-le-feu, voire d’un accord de paix durable, non seulement avec l’Ukraine mais aussi avec l’OTAN?

L’Ukraine se retirera certainement de la région russe de Koursk où elle s’est aventurée ce mois-ci, mais la Russie se retirera-t-elle de tout l’Est de l’Ukraine, capturée en 2022? Et de la Crimée, annexée en 2014? Ou faudra-t-il attendre le renversement du pouvoir actuel à Moscou par des forces démocratiques?

5 novembre

On sent une certaine urgence en raison de la proximité des élections américaines, le 5 novembre. Si Kamala Harris l’emporte, l’Ukraine peut espérer continuer de recevoir l’aide financière et militaire lui permettant de résister aux Russes et de dégrader leurs ressources et leurs capacités de défense.

C’est d’ailleurs un argument de général américain entendu sur un plateau de télé: l’appui à l’Ukraine ne coûte qu’une fraction du budget du gouvernement (100 milliards $ jusqu’à maintenant, quand même) et permet d’envoyer les Ukrainiens au front tuer des soldats russes et détruire leur matériel, sans engager les forces américaines et européennes. C’est dit sans vergogne, presque avec enthousiasme…

Si c’est Donald Trump qui gagne, Poutine peut espérer sortir de ce bourbier avec un échange de territoires qui lui laisserait au moins la Crimée, envahie en riposte à la révolution ukrainienne qui venait de chasser le gouvernement pro-russe de Kyiv (avec l’aide de la CIA selon la complosphère). Poutine conserverait peut-être même une partie des territoires conquis dans l’Est de l’Ukraine, à majorité russophone fait-il valoir.

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Trump promet de faire taire les canons en Ukraine en 24 heures, après quelques appels téléphoniques…

Le monde à l’envers

On a assisté en Occident, en une douzaine d’années à peine, à une inversion remarquable des opinions de la gauche et de la droite face à la Russie. Aux États-Unis, ce sont les Républicains qui sont maintenant «pacifistes» ou «isolationnistes», et les Démocrates «interventionnistes», «impérialistes», suppôts du «complexe militaro-industriel».

Comme d’autres analystes et commentateurs pas spécialement «pro-Poutine», le candidat indépendant Robert F. Kennedy Jr, qui vient de se rallier à Trump, s’opposait depuis longtemps à l’expansion de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie. Que ce soit pour inciter Poutine à se rapprocher de l’Ouest à son rythme (l’argument optimiste). Ou pour éviter de provoquer le dictateur parano d’une puissance nucléaire, qui pourrait préférer détruire le monde que perdre le pouvoir (le point de vue catastrophiste).

On accuse Washington d’être revenu sur une promesse solennelle faite à Poutine, avant 2014, selon laquelle l’OTAN n’incluerait jamais les anciens pays satellites de l’URSS. Mais on ne peut pas blâmer les nations qui ont retrouvé leur liberté de vouloir exercer cette liberté, entre autres en se joignant à l’Union européenne et/ou à l’OTAN. On est libre ou on ne l’est pas.

Les menées russes en Ukraine depuis 2022 ont même convaincu la Suède et la Finlande d’abandonner leur longue tradition de neutralité pour rejoindre l’OTAN, en plus de sortir de leur torpeur d’autres membres de l’Alliance atlantique.

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On accuse aussi des ténors nationalistes – Donald Trump aux États-Unis, Nigel Farage au Royaume-Uni, Marine Le Pen en France – d’agir en sbires de Poutine parce que le président russe se poserait lui aussi en rempart contre l’immigration massive et le wokisme.

Si c’était vrai, ce serait une dérive malheureuse du nationalisme ou du conservatisme, qui n’ont pas besoin d’un modèle comme Poutine, encore moins de son aide. En fait, tous ont condamné la guerre de Poutine en Ukraine. Et ils résisteraient aussi fortement que les socio-démocrates à toute action russe qui menacerait leur pays.

Ce n’est pas parce que Poutine boit de la vodka que tous les buveurs de vodka sont des admirateurs de Poutine.

Isolation et neutralité

Les États-Unis ont une tradition de neutralité sur la scène internationale datant des débuts de la république, quand elle attirait des immigrants de pays qui étaient en guerre les uns contre les autres. Mais c’est devenu un folklore très minoritaire avec les guerres du 20e siècle qui ont fait des États-Unis une superpuissance planétaire, la seule capable d’intervenir partout.

Un courant de pensée «pacifiste» ou «isolationniste» subsiste, notamment dans les milieux libertariens, opposé aux guerres et aux interventions militaires qui ne servent pas directement à défendre le territoire américain. Les manifestations contre la guerre du Vietnam s’en inspiraient, malgré le succès relatif de celle qui avait permis de sauver la Corée du Sud du totalitarisme.

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Ce courant de pensée connaît un regain de popularité au 21e siècle face à la nouvelle réalité géo-politique multipolaire, et à cause du coût effarant des interventions militaires tous azimuts. On remet en question l’obligation de veiller à la sécurité des alliés des États-Unis sur tous les continents.

En Ukraine, une défaite du gouvernement pro-occidental conforterait la Russie dans ses alliances avec l’Iran, la Chine et la Corée du Nord, alors qu’une victoire dissuaderait ces dictatures de se lancer dans de nouvelles conquêtes. Une victoire ukrainienne – ou une paix honorable – est donc éminemment souhaitable.

L’Europe aux Européens

La guerre en Ukraine se passe dans l’Est de l’Europe. Or, à long terme (dans 10 ou 20 ans?), les États-Unis et le Canada devraient laisser les Européens s’armer et s’organiser pour ses défendre seuls contre la Russie. Ils en ont les moyens, et cela a toujours été l’ambition légitime de l’Union européenne.

Les pertes énormes et l’enlisement de l’armée russe en Ukraine (un pays de 38 millions d’habitants qui font face à 144 millions de Russes, 154 en ajoutant les Biélorusses inféodés à Moscou), laissent croire que la Russie ne serait plus en mesure d’envahir des pays comme la Finlande et la Pologne, encore moins comme l’Allemagne et la France.

La menace d’une invasion russe de l’Europe est donc inexistante. Si ce n’était de ses arsenaux nucléaires, la Russie ne résisterait que quelques jours à une invasion européenne! Les bases militaires américaines en Europe, datant de la Guerre froide, sont anachroniques. Les porte-avions américains en Méditerranée aussi.

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L’océan Atlantique, toutefois, restera toujours une responsabilité partagée.

Idem face à la Chine, sachant que le Canada et les États-Unis sont aussi des pays de l’océan Pacifique. Les Japon, Philippines, Corée du Sud, Taïwan, Australie et Nouvelle-Zélande devraient éventuellement pouvoir se coordonner pour se défendre, en continuant de compter sur notre appui.

Mais il n’est pas normal que des porte-avions américains patrouillent en mer de Chine en temps de paix. Que dirait-on si des porte-avions chinois croisaient régulièrement au large de la Californie? On ne sera jamais indifférent ni isolé de ce qui se passe en Asie et en Europe, mais une certaine distanciation serait de mise pour réduire les tensions.

Dans un monde idéal, bien sûr, Russes, Chinois, Iraniens et d’autres peuples opprimés auraient chassé leurs dictateurs et ne seraient plus nos «ennemis».

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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