Guérir en aidant les autres

Rencontre d'alcooliques anonymes.
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Publié 22/03/2019 par Stan Leveau-Vallier

Ronald a du charisme. De grands yeux à l’écoute, un large sourire, et une longue chevelure blanche qu’il destine à une malade du cancer qui en aura besoin.

Il est heureux de parler français, cela fait bien longtemps. Il a les intonations du nord de l’Ontario, des expressions parfois désuètes, ou teintées d’anglais.

Cela fait 25 ans que Ronald est sobre. Presque toute sa famille est morte prématurément à cause de l’alcool.

Né dans le Nord de l’Ontario

Lui est né à Sturgeon Falls en 1952, puis a grandi à Timmins, où son père avait trouvé un emploi à la mine. Cinquième de sept enfants, Ronald décrit ainsi sa famille: «C’était deux enfants qui ont eu de nombreux enfants. Personne n’a éduqué personne.»

Le soir, il y avait des cris et des coups. «C’était pas bien beau pour nous autres.»

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Quand Ronald s’interposait entre son père et sa mère, il se prenait des claques. Il en gardé une ouïe endommagée. À cette époque, la police n’entrait pas dans les maisons, et il n’y avait pas de service social. Seul le prêtre venait parfois parler à la famille.

Ronald

Pas d’amis

À 7 ans, Ronald ne connaissait pas son propre nom de famille, savait à peine parler, et bégayait. La famille était mal nourrie. Ronald était atteint de rachitisme, livide, les dents pourries et l’haleine fétide. On se moquait de lui à l’école, et il devait mettre sa main devant sa bouche.

«C’était dur. J’étais bien petit. Je ne comprenais rien, j’avais peur. Je n’avais pas d’amis. Nous n’étions pas capables d’avoir des amis. J’aimais ma mère, mais je ne la comprenais pas. Je voulais être proche de mon père, mais j’avais peur de lui.»

Un soir, Ronald s’est fait violer par un de ses frères alors sous l’emprise de l’alcool. Quelques mois plus tard, par une maîtresse d’école.

Cauchemars

Pour se protéger, il dissocie alors son esprit de ce qui se passe à ces moments-là. Il enfouit ces souvenirs pendant longtemps. Ceux-ci ne ressurgiront dans sa mémoire que bien plus tard, d’abord à travers des cauchemars.

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«J’ai jamais blâmé mes parents parce qu’ils savaient pas.»

«Mais, après tout ça, j’étais perdu. J’étais pas heureux, dans un autre monde, pas normal. J’avais un ami imaginaire, je parlais tout seul.»

Un des frères ramenait des petits animaux à la maison, et Ronald s’attachait à eux. Le père s’en débarrassait à chaque fois.

Une des petites sœurs de Ronald, alors qu’elle avait été emmenée par sa mère dans une de ces maisons privées dans lesquelles on pouvait trouver de l’alcool illégal, s’est aussi faite violer. «C’était un temps bien triste.»

École secondaire à Hamilton

En 1965, la famille déménage à Hamilton. L’école secondaire structure davantage Ronald, qui découvre le plaisir d’apprendre.

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Mais vers 16 ans, il commence à boire. Pas par goût, mais parce que la boisson l’aide à s’éloigner de la réalité. Il commence à travailler. Sa mère meurt en 1974, jeune, à cause de l’alcool. «Ma mère, elle nous a jamais donné de l’amour. J’ai toujours cherché.»

Ronald est généreux, il travaille et paie les études de sa petite sœur, de laquelle il se sent responsable. Puis il s’endette pour acheter une maison avec un de ses frères. Il se pose la question de la prêtrise. Vers cette époque, il découvre aussi son homosexualité.

Retraite religieuse

Une opportunité de travail en Alberta dans l’industrie du bois lui permet de voyager, pour la première fois. Le travail est dur, mais il apprécie. Il s’installe avec un ami, dans une maison qu’ils décorent ensemble.

Mais il est encore en recherche. Une retraite religieuse lui permet de comprendre qu’il ne deviendra pas prêtre, mais qu’il veut aider les autres.

Il vend sa maison, donne les sous à son ami, et part à Ottawa, pour travailler avec l’organisation des Bergers de l’espoir au service des gens de la rue, des prostituées, des drogués.

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Alcool, viol, SIDA…

En découvrant les alcooliques anonymes, il réalise que lui-même est encore alcoolique, et que lui aussi a besoin d’aide. En creusant, les souvenirs remontent et il se rappelle les viols qu’il a subis. Cela le terrifie.

Quand, en plus de ça, il est diagnostiqué avec le SIDA, il pense à se suicider.

Il passe par des traitements pour sortir de l’alcoolisme, et des psychothérapies pour comprendre et accepter son passé.

«C’est pas un moment qui va faire guérir. Les marques pour un enfant qui se fait abuser, sont bien cruelles. Je n’ai jamais été aimé. Ou si j’ai été aimé, je ne l’ai pas reconnu. Je n’étais pas capable de me reconnaître aimable.»

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Un don pour aider les autres

Installé à Toronto, où il travaille toujours au service d’autres personnes marginalisées, il réalise qu’il a un don, parce qu’il sent les gens et leurs fragilités.

«Je peux aider les autres alcooliques, les autres personnes qui se sont fait violer. Je crois que je les attire. Tu reconnais ce que tu as vécu en l’autre.»

Aider les autres l’aide lui aussi. Le temps passe. «Guérir, des fois ça prend toute une vie.»

Il est surpris de l’affection qu’il reçoit de son chien, et du bien que cela lui fait.

Rencontre d’alcooliques anonymes.

Une force, une foi

À maintenant 66 ans, il a une vie toute simple, tournée vers les autres. «Je n’ai jamais été riche, et j’ai parfois souffert de ça. Mais maintenant je me rends compte que j’ai tout ce que je veux.»

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Il continue d’enterrer les membres de sa famille. Il y a deux ans, on lui a trouvé un cancer, qu’il a abordé de façon sereine. Il a perdu 30 kg, mais pas son énergie. Il s’en est sorti, tranquillement. Il a désormais une force, qu’il attribue à sa foi profonde.

Il ne voulait pas forcément partager son histoire, mais à l’idée qu’elle pourrait aider certains, il a tout de suite changé d’avis. Quelques heures après, il est tout étonné d’avoir tant déballé, et finalement content.


Des gens du coin / Our Neighbours est un projet de recueil d’histoires de personnes qui sont marginalisées (ou l’ont été) à Toronto. Avec Constructive Productions.

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