Grandeur, misère et résilience des musées du Nord de l’Ontario

musées, Nord de l’Ontario
L’intérieur du wagon de queue au musée ferroviaire du Nord de l’Ontario de Capréol. Photos: courtoisie
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Publié 23/05/2022 par Andréanne Joly

On trouve beaucoup de petits musées dans le Nord de l’Ontario, pour lesquels les histoires à succès côtoient les écueils. Après deux ans de pandémie, comment se portent ces musées d’histoire locale?

Souvent portés par un effectif minimal – des bénévoles dont l’engagement est indéfectible – et de maigres ressources financières maigres, les musées d’histoire locale du Nord remplissent-ils leur mandat de transmettre le patrimoine?

Pour nous aider à esquisser un état des lieux, le musée Ron-Morel de Kapuskasing (fermé depuis 2019), le musée de l’histoire du Nord de Kirkland Lake, le musée ferroviaire du Nord de l’Ontario de Capréol, et la maison des Quintuplées Dionne de North Bay se sont prêtés au jeu.

Nord de l’Ontario
Une locomotive du musée Ron-Morel de Kapuskasing.

Le personnel des musées

À Capréol, au musée ferroviaire du Nord de l’Ontario, six employés s’affairent aux visites des installations du musée, chaque été. «Sans ces employés, nous ne pouvons pas fonctionner», soutient Joanne Bowers, la directrice du musée ouvert l’été et sur demande de septembre à mai.

Cette année, quatre anciens employés dûment formés seront de retour au musée. Les deux autres postes demeurent à combler.

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En pleine pénurie de main-d’œuvre, le recrutement donne des maux de tête aux musées. Jusqu’ici, aucun étudiant ne s’est avancé pour travailler dans les musées de Kapuskasing et de Kirkland Lake.

«C’est un défi cette année», admet la superviseure du Musée de l’histoire du Nord à Kirkland Lake, Kaitlyn McKay. Normalement, les deux employés étudiants (qui s’ajoutent à deux employés à plein temps et à un à temps partiel) permettent de réaliser plusieurs projets.

À Kapuskasing, le scénario se répète. La Ville n’a pas réussi à pourvoir tous ses postes d’été, notamment ceux du musée. Le directeur n’a toutefois pas encore mis une croix sur l’ouverture du train-musée, fermé depuis 2019. «Ça prend des étudiants intéressés à offrir ces services-là», insiste le directeur municipal à Kapuskasing, Guylain Baril.

musées, Nord de l’Ontario
La Maison Harry Oakes abrite le musée de l’histoire du Nord de Kirkland Lake.

La communauté

Dans trois des quatre musées approchés, des bénévoles engagés contribuent aux activités muséales.

À Capréol, les bénévoles veillent à l’entretien des propriétés, à l’aménagement paysager et même, parfois, à la préparation d’expositions. «Ils sont la colonne de l’organisme», estime Joanne Bowers, en poste depuis un peu plus d’un an. Ces personnes dévouées ont construit le musée au cours des 30 dernières années, selon elle.

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Depuis Toronto, la directrice générale de l’Association des musées de l’Ontario, Marie Lalonde, reconnaît aussi l’apport inestimable des bénévoles.

Association des musées
Marie Lalonde.

Elle cite en exemple la maison des quintuplées Dionne, rouverte en 2019 sur le bord du lac Nipissing à North Bay.

Quelques années plus tôt, la Ville comptait céder la maison qui a vu naître les jumelles le 28 mai 1934 à Corbeil. Grâce au travail d’un comité bénévole, la maison est restée à North Bay. «Les bénévoles ont été exceptionnels», croit Mme Lalonde.

À Kirkland Lake aussi, la communauté s’est mobilisée lorsque le musée a été mis à l’examen. «Personne ne veut que ça s’efface», souligne Kaitlyn McKay. Elle espère maintenant «que les gens qui ont un grand esprit communautaire, qui aiment l’histoire de la communauté vont se joindre à nous pour nous aider.»

C’est ce que vit la maison des quintuplées Dionne, à North Bay. Le musée ne fonctionne qu’avec des bénévoles et avec un étudiant, l’été. «On est une dizaine de personnes engagées: sept au comité et d’autres personnes qui nous aident», explique le président du conseil d’administration du comité patrimonial des quintuplées Dionne de North Bay, Ed Valenti.

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Une partie du travail de ces bénévoles, c’est d’en trouver d’autres. «Nous sommes toujours allés chercher de l’aide», plaide le président.

Par exemple, un groupe d’architectes a dessiné le site avant le déménagement de la propriété et un avocat. S’ajoutent les bénévoles qui assurent les visites de la maison les vendredis et les samedis ou qui sont présents lors d’évènements spéciaux.

jumelles Dionne, Nord de l’Ontario
Les quintuplées Dionne.

Les visiteurs du Nord de l’Ontario

Dans chacun des musées, on souligne l’importance des visiteurs de passage.

À Capréol, en 2021, 80% des visiteurs venaient de l’extérieur. «Au cours des deux derniers étés, on a eu quand même un bon nombre de visiteurs… Je crois, parce que les gens fuyaient la ville», renchérit en riant Kaitlyn McKay de Kirkland Lake.

Les anciens résidents en visite, l’été, contribuent à cette tendance.

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Avec la pandémie qui se fait moins menaçante et la reprise des visites scolaires à l’automne, Joanne Bowers prévoit que l’équilibre reviendra, avec des visites locales à hauteur de 50%. «Les écoles ont fait une tournée virtuelle avec des acteurs», nuance-t-elle.

La réinvention des musées

«Comme n’importe où, il faut attirer de nouvelles personnes», souligne Joanne Bowers. Elle croit que l’équipe du musée ferroviaire doit avancer, que la pandémie ait dit son dernier mot ou pas. «On va générer des idées.»

L’équipe de Kirkland Lake fait de même. En 2019, la programmation spéciale pour le centenaire de la Ville avait été un catalyseur. «On espérait bâtir sur cette impulsion, admet Kaitlyn McKay. On avait hâte de réaliser d’autres projets et de mettre sur pied des choses en 2020.»

Le travail de diversification se poursuit néanmoins: ateliers, cours, conférences sont en préparation pour assurer que le musée vive 12 mois par année.

«Nous sommes résolument plus occupés l’été, mais nous sommes ouverts toute l’année. Il faut essayer de compenser en proposant des activités et des programmes scolaires pour que plus de gens visitent le musée à longueur d’année.»

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Au contraire, à Kapuskasing, on pense réduire pour pouvoir rouvrir. Avant, la conservatrice — qui a depuis quitté son poste — recevait l’appui de deux ou de trois étudiants pour animer le musée, précise Guylain Baril.

Pour l’instant, il préconise les visites autonomes. «On pense que les gens peuvent voir l’exposition par eux-mêmes et lire les articles et les explications sur les murs», indique le directeur municipal.

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Une des locomotive du musée ferroviaire du Nord de l’Ontario de Capréol.

Les autres musées

Marie Lalonde, de l’Association des musées, insiste sur la portée de ces partages et du réseautage.

À Kenora, elle a observé un regroupement de musées. The Muse, à Kenora, compte désormais le musée, les archives et la galerie d’art. «Ça devient très intéressant comme programmation parce que les ressources peuvent être partagées. Il y a énormément de musées et il faut augmenter la collaboration entre les musées.»

Kaitlyn McKay se souvient qu’un tel réseau régional aurait existé il y a une quinzaine d’années. Les responsables se rencontraient quelques fois par année, partageaient de l’information, décrit-elle.

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Une telle collaboration existe encore, autrement. Par exemple, le musée et galerie logés dans le manoir Harry Oakes communique régulièrement avec la Galerie d’art du Témiskaming et le Musée de Timmins.

«Karyn Bachmann (la conservatrice et directrice du Musée de Timmins) est passée à travers tous les scénarios imaginables», souligne Mme McKay. «Alors si nous avons des questions, il y a une chance qu’elle ait une réponse pour nous.»

L’idée de former un groupe aurait même fait l’objet de conversations. Prendrait-il la forme d’un groupe de conversation privée, en ligne? «S’il y a une subvention dont plusieurs d’entre nous pourraient profiter, c’est bien de le partager. Si tu travailles dans un petit musée, il y a bien des chances que tu acceptes d’aider un autre musée», croit-elle.

Marie Lalonde est très attachée à cette notion de mise en commun. Elle y va d’un autre exemple: il y a quelques années, quatre petits musées ont conçu ensemble autant d’expositions itinérantes. Chacun des musées s’est penché sur un sujet d’intérêt local, qui avait aussi une portée plus large. Les quatre expositions itinérantes ont été présentées chez chacun des partenaires et, ensuite, à travers la province.

«Il faut briser l’isolement», estime la directrice d’association, qui reconnaît que l’étendue du territoire rend la tâche plus complexe.

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musées, Nord de l’Ontario
Le musée Ron-Morel de Kapuskasing est fermé depuis 2019.

La mémoire

À Kirkland Lake, le musée est résolument perçu comme un gardien du passé. La maison, construite en 1912, est propriété de la Fiducie du patrimoine ontarien. Les expositions et les archives qu’elle loge sont précieuses pour la communauté.

En l’absence de société historique, le musée, la bibliothèque et quelques collecteurs privés préservent l’histoire locale. Sans eux, «il n’y aurait pas d’autres avenues pour sauvegarder l’histoire», relève Mme McKay.

«Si le musée n’est pas ici, l’histoire de la communauté s’efface. Personne ne veut voir ça.»

Devant la possible disparition de certains musées, Marie Lalonde soulève aussi l’importance du devoir de mémoire. Devant l’éventualité de la fermeture de petits musées, «il faudra voir comment on peut garder le patrimoine vivant de la meilleure façon possible», dit-elle.

À Kapuskasing, on se demande comment le faire, surtout en l’absence de personnel pour entretenir les archives, entreposées dans le sous-sol de la gare.

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Les conservations à ce sujet demeurent préliminaires. «Est-ce que ça vaut la peine de garder tout ça», lance franchement Guylain Baril. «Des fois, il y a des objets qu’on a en double, en triple. On les garde pour quelles raisons?»

Le conseil municipal et la Ville ne sont pas encore allés au fond de cette question.

«C’est un travail important», croit Mme Lalonde.

L’avenir des musées du Nord de l’Ontario

À Kapuskasing, la pandémie pourrait être la planche de salut du musée. Guylain Baril rappelle le long exode de la population, qui semble se résorber.

«Ça a vraiment changé depuis deux ans. Il n’y a plus de maisons à vendre», illustre le directeur municipal. Il s’interroge: «Il y aurait peut-être un certain intérêt à faire vivre le musée.»

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Marie Lalonde répond par l’affirmative. «Les gens reconnaissent souvent que les musées peuvent contribuer à la régénération des villes. Il y a contribution à une vie sociale qui est plus intéressante, enrichie.»

Sa suggestion, encore: créer des liens, cette fois-ci à même la collectivité.

À Sault-Sainte-Marie, par exemple, un musée travaille avec les organismes d’intégration de nouveaux arrivants. «Ils font ensemble des programmes au musée. Du point de vue social, ce genre de programmation devient très émouvant. C’est du community building

Cette notion pourrait être utile, à Kapuskasing. «Kap a été en déclin tellement longtemps qu’on ne sait pas comment développer», fait remarquer Guylain Baril à la suite d’une présentation sur le développement de l’aménagement urbain.

«Il faudrait peut-être faire le même genre de réflexion avec le musée, le curling, les activités historiquement menées par des bénévoles» qui sont de moins en moins nombreux.

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Le travail de sensibilisation doit aussi venir des musées, estime cependant l’Association. «Les musées doivent apprendre à mieux faire valoir leur apport», concède Mme Lalonde. «Quand on parle du municipal, les gens vont souvent reconnaître la santé, les routes, les infrastructures. Mais les musées contribuent aussi.»

Le pouvoir des possibilités

«Avec une bonne base de visiteurs, avec une bonne source de financement, on peut survivre», soutient Joanne Bowers. «Mais il y aura toujours le besoin de trouver de nouvelles sources de financement et travailler avec le financement privé.»

Kirkland Lake espère apporter des changements, accroître la fréquentation de la maison plus que centenaire et générer plus de revenus autonomes.

À North Bay, il faudra gérer tous les dons en matériel et à Kapuskasing, décider de ce qu’on fera de la mémoire.

Keewatin, Musée de l'eau
La passerelle du Keewatin avant la fermeture de ce musée flottant à Port McNicoll en 2020. Photo: Micheline Marchand

Pour un musée de l’eau à Port McNicoll

Par ailleurs, à Port McNicholl, sur la baie Georgienne, à 160 km au nord de Toronto, on veut créer un Musée canadien de l’eau relié au réseau de l’UNESCO.

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La communauté de Port McNicoll a perdu le Keewatin, un bateau à vapeur historique de 1907 que des bénévoles avaient réussi à transformer en attraction touristique. Mais le navire laissera un legs durable: le Musée de l’eau.

Ce tout nouveau musée, lancé de façon virtuelle le 22 mars dernier, vise, selon Fred Addis, un des neuf membres du conseil d’administration, à «brancher Port McNicoll sur une vision mondiale de l’eau».

«Nous ne voulions pas que le legs de tout le travail que les bénévoles ont mis dans le Keewatin finisse par disparaître.»

Ce Musée canadien de l’eau, le premier du genre au pays, s’ajoute aux 57 autres à travers le monde. «Le Canada était le seul des pays du G7 à ne pas avoir un Musée de l’eau», souligne Fred Addis.

Ces musées sont différents les uns des autres, mais partagent un objectif commun: faire comprendre aux gens l’importance de la nature de l’eau qui assure et soutient la vie sur Terre.

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Keewatin, Musée de l'eau
Le pont du navire historique Keewatin, fermé au public depuis 2020. Photo: Micheline Marchand

Pour l’instant, le Musée se limite à un site web avec une exposition sur le Keewatin. Mais les administrateurs cherchent à établir un local avec des expositions physiques à Port McNicoll. «Nous voulons qu’il contribue à l’économie du tourisme de Simcoe Nord», confirme Fred Addis.

Dès le 3 juillet, il offrira une série de trois visites pédestres guidées de 90 minutes tous les dimanches. Ces tournées présenteront trois thèmes en rotation: l’histoire de Port McNicoll et de la baie Georgienne; la vision et la culture de l’eau chez les Premières nations; et Port McNicoll vu d’une perspective naturaliste.

On estime qu’il faudrait amasser 20 000 $ pour réaliser la première étape du projet. À l’heure actuelle, ses membres assurent les dépenses eux-mêmes.

Keewatin
La cloche du navire à vapeur Keewatin. Photo: Micheline Marchand

Le Musée fait présentement aussi appel à la participation du public général en lui demandant de soumettre électroniquement des photos qui illustrent l’eau pour les exposer sur son site web. L’objectif: exposer 2022 photographies pour signaler l’année de création du Musée.

Selon Fred Addis, «des photos nous parviennent de partout au Canada. La réaction des gens à l’ouverture du Musée a été fantastique et les commentaires nous arrivent du pays en entier.»

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Idéalement, les organisateurs voudraient que le Keewatin fasse partie du Musée. Mais, le propriétaire du bateau, le promoteur immobilier Skyline Investments, qui a fermé l’accès au navire à l’été 2020, semble déterminé à le donner au Musée maritime des Grands Lacs à Kingston. Ainsi, les chances que le Keewatin demeure à Port McNicoll demeurent minces.

– Avec des extraits d’un article de Daniel Marchildon (IJL – Réseau.Presse – Le Goût de vivre) sur le Keewatin et le Musée canadien de l’eau.

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