Garderies à 10 $ : défis d’adaptation administrative

Deuxième de trois reportages

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À la garderie torontoise Les amis du monde. Photos: Andréanne Joly, l-express.ca
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Publié 10/12/2024 par Andréanne Joly

Le 1er janvier, l’implantation des «garderies à 10 $ par jour» entrera dans une nouvelle phase. Pour les parents d’enfants de moins de 6 ans, la facture sera encore une fois allégée, passant à 22 $. Pour une majorité de garderies de langue française de Toronto, ce nouveau changement à la formule de financement présente un double enjeu: équilibrer les budgets et retenir le personnel.

«Ce ne sont pas des garderies à 10 $ par jour», lance sans détour Claude Bellerose, président du conseil d’administration de deux garderies, l’une à Orangeville, l’autre à Toronto, dans York South-Weston. Le 1er janvier, la facture des parents passera à 22 $ par jour pour les frais de garde.

La facture à 10 $ n’arrivera pas avant mars 2026, selon l’échéancier du gouvernement fédéral, promoteur du projet.

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À la garderie torontoise Les amis du monde cette saison.

Les parents et la Ville partagent la facture

À l’heure actuelle, pour les garderies, la formule de financement se fonde sur leurs frais d’exploitation de mars 2022. Les parents paient actuellement 52,75% de la facture de mars 2022. La Ville absorbe l’autre part.

Cependant, pour la période depuis, l’inflation s’est chiffrée à plus de 5%, selon la Banque du Canada, laissant plusieurs garderies dans le rouge.

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«[Les coûts] ont beaucoup augmenté par rapport à ce qu’ils avaient prévu au début du programme», notait en octobre Cynthia Kuassi, directrice des finances du Petit Chaperon rouge, une garderie torontoise qui compte huit centres de service.

La directrice de l’Association of Day Care Operators of Ontario (ADCO), Andrea Hannen, constatait alors la même chose. «Le financement ne suffit pas dans bien des cas. Ce n’est pas viable.»

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Mise en place du programme fédéral en Ontario. Infographies: Andréanne Joly, l-express.ca

Une formule qui assure la rentabilité?

Pourtant, en octobre, Cynthia Kuassi se voulait optimiste. Elle espérait que la formule qui entrera en vigueur le 1er janvier assurerait la couverture complète des frais d’exploitation.

Mais deux mois plus tard, les gestionnaires de trois garderies de langue française expriment leurs craintes.

Chez lui, Claude Bellerose fixe la rentabilité à 1360 $ par mois par poupon, en calculant le matériel, les frais d’entretien, le personnel et tutti quanti.

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Avec une facture de 22 $ par jour, un parent absorbera 484 $ de ces 1360 $. Le reste viendra de la Ville, par le biais d’ententes avec le fédéral et la Province. Cependant, le budget sera déterminé en fonction des frais d’exploitation de 2023 et comporte des frais fixes.

Claude Bellerose souhaite que les subventions permettent d’équilibrer le budget, mais aussi d’assurer un certain fonds de roulement. «Comme président, je suis dans l’oversight. Je dois m’assurer que c’est financièrement rentable, qu’il n’y a pas de pertes, que l’argent est bien dépensé et que l’on paie de bons salaires.»

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Près de 1200 places en garderies francophones à Toronto.
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31 garderies francophones reconnues à Toronto.

La rétention des éducatrices possible?

Aux Bouts d’Choux, dans University-Rosedale, la directrice Julie Meta Kadiamba admet que le programme de garderies subventionnées, «c’est avantageux pour les parents, mais les éducatrices ne s’y retrouvent pas vraiment».

Les amis du monde ont choisi de verser 25 $/heure aux éducatrices. Cependant, la paie prévue dans la formule de la Ville est fixée à 19 $/heure. «Reste à voir ce qui se passera», s’inquiète Régine Epolo, présageant un manque à gagner.

«Déjà, nous sommes à Toronto», partage-t-elle. «Trouver des éducatrices francophones qui veulent travailler en petite enfance, c’est difficile.»

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«C’est une grosse responsabilité», renchérit Claude Bellerose. «On élève parfois les enfants.»

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À la garderie torontoise Les amis du monde.
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À la garderie torontoise Les amis du monde.

Coûts d’administration élevés

Régine Epolo préférerait que l’argent consacré à l’administration du programme de «garderies à 10 $» se retrouve dans les poches de ses éducatrices.

Le financement part du fédéral, coule vers le provincial, puis vers 47 entités municipales ou régionales avant d’être distribué aux garderies.

En plus, souligne Régine Epolo, le programme subventionné comporte beaucoup d’exigences administratives pour les garderies. Elle cite l’audit annuel. «Ça coûte cher: 7000 $ par année.»

Cet argent pourrait être investi dans les salaires des éducatrices, plaide-t-elle.

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Les garderies partagent le bassin de personnel de la petite enfance avec quatre conseils scolaires et des écoles privées. Le programme d’apprentissage par le jeu de la maternelle-jardin attire nombre d’éducatrices: les conseils scolaires paient plus, offrent de meilleures heures de travail et deux mois de congé, l’été.

Le salaire horaire peut permettre aux garderies d’être plus compétitives, estime-t-elle.

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À la garderie torontoise Les amis du monde.

De possibles fermetures?

Dans leur situation actuelle, les économies d’échelle sont peu probables dans la majorité des établissements de langue française, souligne Andrea Hannen.

Andrea Hannen
Andrea Hannen.

«Il semble que le secteur des garderies francophones est principalement composé de petites organisations, communautaires, à but non lucratif et à un seul emplacement. Je crois que ce sera beaucoup plus difficile pour elles.»

En novembre, selon La Presse canadienne, la Ville de Toronto indiquait que 14 garderies annonçaient leur désistement du programme de «garderies à 10 $».

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Est-ce une option pour les garderies francophones? Pas pour les garderies qui ont répondu aux questions de l-express.ca.

On évoque de possibles fermetures de classes là où des places restent libres. Mais ce scénario est rapidement écarté à cause des listes d’attente.

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À la garderie torontoise Les amis du monde.

Un financement à nouveau changé?

Andrea Hannen suggère que des chèques soient remis directement aux parents. De plus, elle fait valoir que de subventionner seulement des services de garde agréés n’offre pas de flexibilité aux familles.

«Toutes les familles ontariennes avec enfants de cinq ans et moins pourraient recevoir entre 2200 $ et 2700 $ par enfant, par année, si les fonds étaient alloués directement aux familles», soutient l’organisme qu’elle dirige, l’ADCO, dans un document d’information.

Pour elle, ce n’est pas une question d’implantation. «Peut-être que le programme est trop gros et pas très pratique.»

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Les parents doivent se préparer à d’importants changements, prédit-elle. «It’s just a question of practicality, right?»

Cette ouverture susciterait-elle à nouveau de l’espoir dans les administrations? Et qu’en serait-il des parents, résolument heureux de payer moins cher depuis mars 2022, mais soucieux des aléas administratifs?

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