Gageure ou gageüre?

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Publié 08/03/2011 par l-express.ca

L’orthographe et graphie dans l’immersion du monde de l’élocution et de la rédaction .J’ai des amis formidables. Des amis comédiens, metteurs en scène. Des hommes et des femmes qui font du théâtre ou qui assistent assidûment à des spectacles sur scène. Il m’arrive même de fouler les planches avec certains d’entre eux. J’aime le théâtre depuis toujours.

L’orthographe et graphie ont deux bonnes prononciations ?

Évidemment, je porte toujours une attention particulière aux textes qu’on nous sert sur scène. À l’histoire, bien sûr, mais aussi à la forme et à l’orthographe.

Les erreurs de prononciation m’agacent, les liaisons manquantes ou superflues m’embêtent parfois. Il y a quelques jours, j’assistais à une représentation de Hamlet, une des plus célèbres pièces du répertoire classique. Un gros morceau. Qui demande beaucoup d’audace lorsqu’on s’y attaque.

La production était plus qu’intéressante. La distribution était à la hauteur. La scénographie était audacieuse et imposante. La musique enveloppait le tout pour créer des atmosphères toujours appropriées.

Soudain, mon esprit se mit à divaguer. Un comédien venait de prononcer le mot gageure en le faisant sonner comme majeure. Il s’agissait de la scène de duel entre Hamlet et Laertes. Le roi ordonne à Osric de remettre les armes aux deux protagonistes. La réplique ressemble à ceci:

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«Donnez-leur les fleurets, jeune Osric. Cousin Hamlet, vous connaissez la gageure?»

Il y a de ces mythes qui persistent. Comme celui de prononcer ga-jeur au lieu de ga-jure. On pense bien faire en soignant faussement la prononciation, mais on fait fausse route. En langage courant, on prononce souvent ga-jure et c’est justement la bonne prononciation. Mais en pensant vouloir bien faire, on prononce ga-jeur. À tort.

 

Plusieurs ouvrages de référence reconnaissent que la prono

nciation ga-jeur existe. Le Petit Robert, par exemple, dit que cette prononciation est «critiquée mais fréquente». Mais tous les ouvrages recommandent la prononciation ga-jure, qui rime avec injure ou parjure.

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Le débat, en fait, n’est pas nouveau. La Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française nous dit que «dès la fin du XVIIe siècle, les lexicographes sentaient déjà le besoin de fournir des indications sur la manière de prononcer ce mot, attestant ainsi indirectement une certaine confusion.»

Et d’où vient cette confusion? De la graphie même du mot. On est porté à associer la finale en «-eure» avec des mots comme meilleure, majeure, mais dans les faits, il s’agit plutôt du suffixe «-ure» et non du suffixe «-eure».

gageure ou gageüre?
gageure ou gageüre? L’origine du mots Source : Wikimedia

L’orthographe et graphie à l’origine de la confusion

On a formé gageure comme on a formé soudure ou usure. Dans ces exemples, la lettre «e» finale de soude ou de use a disparu pour laisser place au suffixe «-ure». Mais dans le mots gageure, si on avait retranché le «e» final, on se serait retrouvé avec la graphie «gagure» qui, selon les règles de la prononciation, aurait fait sonner la lettre «g» en «gue». La combinaison de lettres «ge» vient en fait adoucir le «g» pour le faire sonner comme un «j», ce qui permet de prononcer le «u» de façon distincte.

Quand on y pense, il s’agit exactement du même procédé orthographique que celui qu’on retrouve dans plongeoir ou rougeâtre. Le maintien de la lettre «e» permet simplement d’éviter que l’on prononce ces mots «plon-gwar» et «rou-guâtre».

Suivant ce raisonnement, on peut donc exclure la prononciation «ga-geur» et surtout comprendre pourquoi on peut la laisser de côté.

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Mais la Banque de dépannage linguistique suggère aussi que la prononciation «ga-jeur» pourrait être attribuée à l’influence du substantif gageur, au sens de «personne qui gage», qui était déjà courant il y a quelques siècles.

Le mot est moins répandu aujourd’hui, probablement parce qu’on lui préfère «parieur», mais si cette forme masculine est attestée, il y a lieu de croire que sa forme féminine ne serait pas «gageure» mais bien «gageuse», comme «nageur, nageuse» ou «plongeur, plongeuse».

Histoire de clarifier la prononciation de gageure, les rectifications orthographiques de 1990 proposent de mettre un tréma sur le «u». La nouvelle orthographe, qui entre timidement dans les mentalités et dans les enseignements, viendrait en quelque sorte régler le cas de gageure et confirmer la prononciation selon laquelle on insiste sur le «u».

C’est là le rôle du tréma en français: marquer une nette séparation sonore lors d’une combinaison de deux voyelles.

gageure ou gageüre?
Gageure ou gageüre? L’orthographe en rouge source: Wikimedia

L’ orthographe et graphie c’est d’ailleurs un autre chapitre des rectifications orthographiques: désormais, on mettra le tréma sur la lettre qui doit être prononcée. Cela va de soi dans gageüre, mais cela provoque la transformation de certains mots existants, comme ambiguë, qui devient ambigüe, par exemple.

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La graphie gageüre avec un tréma avait été proposée par l’Académie française en 1975, mais celle-ci y avait renoncé en 1987. Le mot fait de nouveau partie de la liste des mots touchés par les rectifications orthographiques.

Il n’y aura plus de doute possible. Que les comédiens se le tiennent pour dit !

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