Fulgence Charpentier a connu trois siècles

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 25/06/2007 par Paul-François Sylvestre

À 100 ans, le Franco-Ontarien Fulgence Charpentier est le doyen mondial des journalistes. À 101 ans, il rédige toujours sa chronique de politique internationale pour le quotidien Le Droit, d’Ottawa. Né en 1897 et décédé en 2001, Fulgence Charpentier a connu trois siècles. Il a été journaliste, haut fonctionnaire, politicien, ambassadeur et même dramaturge. Il a surtout été un humaniste à qui le Canada doit le triomphe des valeurs d’ouverture, de tolérance et de liberté dont nous sommes si fiers aujourd’hui.

François-Xavier Simard et Denyse Garneau ont uni leurs efforts pour brosser le portrait d’un être singulier au destin qui ne le fut pas moins. Leur biographie s’intitule Fulgence Charpentier (1897-2001): la mémoire du XXe siècle.

L’ouvrage est préfacé par le fils Jean Charpentier et comporte un prologue du sénateur Gérard-A. Beaudoin; il renferme 18 chapitres détaillés sur une vie mouvementée et comprend 200 pages de photos, ainsi que 60 pages de repères chronologiques: 908 pages au total.

Né le 29 juin 1897 à Sainte-Anne-de-Prescott (Est ontarien), Fulgence Charpentier fait son cours classique au Séminaire de Joliette (Québec), puis étudie le droit à Osgoode Hall (Toronto) en 1919-1920.

Il se rappelle qu’on disait alors que la Ville-Reine était la plus cafardeuse. «Mais j’avoue ne m’y être jamais ennuyé. Le spectacle d’une grande ville, besogneuse, son site le long du lac Ontario, ses parcs, son musée, son université, ses énormes magasins, Simpson’s et Eaton, avaient de quoi séduire l’imagination.»

Publicité

Fulgence Charpentier étudie à Osgoode Hall avec son ami Armand Racine, qui a fait la guerre dans les forces navales canadiennes. Tous deux se trouvent à bord du tramway, en pleine discussion française lorsqu’un voyageur a le malheur de lancer Speak White!

Piqué par une guêpe malapprise, le compagnon de Fulgence bondit sous l’outrage: «Mon cher ami, ici on parle anglais selon vous. Mais je parlerai français où et quand je voudrai. Je sors de la marine canadienne où j’ai fait trois ans de guerre pour défendre la liberté, dont celle de parler français dans mon pays. Où étiez-vous pendant la guerre?» Charpentier note que le pauvre bonhomme est descendu à l’arrêt suivant et que les autres voyageurs, médusés, ont applaudi. «C’est la seule fois que j’ai entendu Speak White et que j’ai été témoin d’applaudissements dans un tramway.» 

Courriériste parlementaire à Ottawa, Fulgence Charpentier écrit un article, en 1924, où il se demande si l’histoire du Canada est écrite dans une langue morte. Il s’en prend aux députés francophones de la Chambre des communes, qui ne parlent que l’anglais au Parlement.

Il compte sur les doigts de la main les discours en français. Son article a un impact car, le 9 février 1925, l’adresse en réponse au discours du trône est formulée en français, chose qu’on n’avait pas entendue depuis 13 ans. De plus, 43 plaques anglaises sont remplacées par des affiches bilingues sur les édifices fédéraux.

En plus d’être courriériste parlementaire et président de la tribune des journalistes, Charpentier se fait élire commissaire à l’Hôtel de ville d’Ottawa. Comme si cela ne le suffit pas, il devient parallèlement secrétaire du Conseil national sur l’éducation, président du Cercle littéraire et scientifique de l’Institut canadien-français d’Ottawa et président de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Ottawa.

Publicité

Il accepte aussi de diriger un programme d’études en journalisme à l’Université d’Ottawa. Il trouve même le temps d’écrire des pièces de théâtre qui remportent un franc succès en 1938 (Les Patriotes) et en 1939 (Le Déserteur).

Durant la Seconde Guerre mondiale, le scribe Charpentier, ô ironie du sort, est nommé censeur en chef par le Premier ministre McKenzie King. Cette fonction l’amène à fréquenter Roosevelt, Churchill et leurs principaux collaborateurs aux conférences de Québec.

Il rencontre également le général de Gaulle, chef à Londres d’un gouvernement en exil qui se bat pour libérer une France tenue en laisse par les Allemands et leurs valets de Vichy. Charpentier doit «filtrer la correspondance des soldats et celle des trente-quatre milles prisonniers allemands détenus au Canada».

Il doit aussi s’assurer la collaboration de 91 quotidiens et 1 400 hebdos, revues, magazines et autres périodiques. Charpentier préside le comité secret Intelligentsia and Security et participe à une conférence secrète sur le contre-espionnage à Miami.

En 1947, Fulgence Charpentier fait son entrée au ministère des Affaires extérieures à titre d’agent du Service extérieur responsable des communications. L’année suivante, il est nommé conseiller culturel et de l’information à l’ambassade du Canada en France.

Publicité

Il rencontre Mgr Angelo Giuseppe Roncalli, nonce apostolique et doyen du corps diplomatique en France (c’est le futur Jean XXIII).

Il goûte la vigueur d’esprit du nonce, sa bonne humeur et son ouverture au monde moderne. Il note que, sous un air naïf, le futur pape «ne se laissait jamais désarçonner par les phrases obliques, les difficultés de sa charge ou les roueries de ses interlocuteurs. Il était surtout d’une exquise bonté et sans la moindre prétention.»

Les auteurs soulignent que monsieur Charpentier aurait dû être nommé ambassadeur durant les années 1940 et 1950. Mais ce n’est qu’en 1961, à l’âge de 65 ans, qu’il est nommé ambassadeur à Yaoundé (Cameroun), avec accréditation au Gabon, au Tchad, en République centrafricaine et au Congo-Brazzaville.

Le Canada doit à Charpentier l’ouverture ou la consolidation de missions et d’ambassades dans ce qu’on appelait alors l’Afrique équatoriale française, ainsi qu’au Brésil et en Haïti, entre autres.

Selon les deux biographes, ce sont une profonde humanité, un esprit vif et pénétrant ainsi qu’une grande droiture morale qui ont permis à Fulgence Charpentier de traverser, sain et sauf, toutes les décennies du XXe siècle, peu importent les embûches ou les difficultés.

Publicité

François-Xavier Simard et Denyse Garneau, Fulgence Charpentier (1897-2001): la mémoire du XXe siècle, biographie, Ottawa, Éditions du Vermillon, coll. Visages no 19, 956 pages, 42,50 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur