Redécouverte des femmes artistes «rivales» du Groupe des Sept

L’exposition Uninvited au Musée McMichael

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Suzanne Duquet, Groupe, 1941. Musée national des beaux arts du Québec.
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Publié 22/09/2021 par Mary Elizabeth Aubé

Voici une exposition au Musée McMichael qui a de l’ambition: faire connaître les plus belles œuvres d’art d’une génération de femmes artistes canadiennes du début du vingtième siècle. Ce faisant, Uninvited change la conception courante de l’art canadien de cette époque, qui est définie par les paysages du Groupe des Sept.

31 artistes et plus de 200 œuvres provenant de 60 sources privées et institutionnelles d’un bout à l’autre du Canada. Une découverte et une joie.

Une poignée de femmes artistes

Parmi les artistes exposées, Emily Carr est une vedette. Les artistes du groupe montréalais Beaver Hall, dont Anne Savage, Emily Coonan, Prudence Heward et Lilias Torrance, ainsi que les Torontoises Elizabeth Wyn Wood, Frances Loring et Florence Wyle, sont bien connues aussi.

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Emily Carr, Arbre (montant en spirale), 1932–33. Vancouver Art Gallery.

D’autres artistes moins connues seront une découverte. Mrs. Walking Sun, Attatsiaq, Sophie Frank, Bridget Ann Sack, Elizabeth Katt Petrant, Regina Seiden et Paraskeva Clark.

Pourtant, toutes ces artistes étaient connues de leur vivant, pour ensuite dans la plupart des cas tomber plus ou moins dans l’ombre, voir l’oubli.

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Donc, il serait plus exact de parler de leur redécouverte… Et d’essayer de comprendre, l’exposition aidant, la raison de leur occultation, heureusement remédiée maintenant.

Groupe surprenant et puissant

Suzanne Duquet est l’une de ces artistes qui sont les moins connues aujourd’hui. Or, son portrait intitulé Groupe est «l’un des portraits de groupe les plus surprenants et puissants de l’art canadien», selon Sarah Milroy, curatrice en chef du Musée McMichael.

Duquet crée ce tableau en 1941 lorsqu’elle étudie à l’École des beaux-arts de Montréal. Ensuite, elle enseigne l’art, et continue de peindre et de participer au monde artistique pendant des décennies. Et pourtant, elle est si peu connue.

Effets des contraintes sociales

Certaines des artistes de Uninvited ont bien commencé leur carrière artistique — formation dans les meilleures écoles d’art, participation à des expositions — puis l’ont vue écourtée.

Regina Seiden Goldberg arrête de peindre après son mariage. Margaret Watkins abandonne son art à cause de lourdes responsabilités familiales et financières.

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Les contraintes imposées par la société de leur époque limitent les possibilités d’autres de ces artistes aussi.

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Yvonne McKague Housser, Marguerite Pilot de Deep River (Jeune fille avec des molènes), c. 1936–40. Collection McMichael d’art canadien.

Femmes artistes «non invitées» au cénacle

Le titre de l’exposition fait référence au fait que ces artistes ne sont pas invitées à faire partie du Groupe des Sept, les artistes canadiens les plus connus et célébrés du vingtième siècle.

Étant des «non invitées», elles ne bénéficient donc pas de la renommée qu’aurait garantie l’association avec le Groupe des Sept… qui accueille uniquement des hommes qui pratiquent un paysagisme ancré dans une culture rigidement masculine.

Le McMichael décrit Uninvited comme «un riche et énergétique défi» à l’exposition Une Vision commune – Les 100 ans du Groupe des Sept. Les deux expositions se poursuivent simultanément au McMichael.

Arts traditionnels autochtones

Les formes artistiques autochtones présentées ici — perlage, décoration avec des piquants de porc-épic, vannerie et couture vestimentaire — ont longtemps été exclues de la conception de l’Art avec un A majuscule… C’est-à-dire l’art des élites masculines.

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Cette exposition participe au mouvement pour donner à ces arts leur juste place.

Deux des magnifiques exemples dans l’exposition: les tuiliks perlés (parka de femme padlirmiut) par Attatsiaq qui jouxtent les aquarelles de Winifred Petchey Marsh que ces vêtements ont inspirées. Une sorte de jeu de miroirs intriguant.

Musée McMichael, Groupe des Sept
À g.: Attatsiaq, Tuilik (parka de femme, panneau), 1926–37. Manitoba Museum. À d.: Winifred Petchey Marsh, Atigi padlirmiut de femme (Manteau intérieur, devant), 1933–34. Prince of Wales Northern Heritage Centre.

L’être humain au cœur de l’art de ces femmes artistes

Pour les artistes de cette exposition, l’être humain est au cœur de leur production artistique.

Autant pour les femmes autochtones, qui réalisent des objets incarnant les conceptions fondatrices de leur identité… Que pour les femmes du groupe des colons ou pionniers qui choisissent souvent le portrait individuel ou de groupe afin d’explorer la subjectivité et la psychologie.

Tout au contraire, l’art du Groupe des Sept intronise le paysage sans trace humaine comme expression de l’âme du pays.

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Reflets de leur temps

Alors que les tableaux du Groupe des Sept représentent une nature hors du temps, les peintures et les photos de ces femmes artistes sont bien ancrées dans leur temps.

Emily Carr attire l’attention sur la déforestation industrielle. Les photographies de Margaret Watkins sont une méditation sur les intérieurs domestiques de l’époque. Les portraits témoignent du style vestimentaire d’alors.

Paraskeva Clark, une immigrante de Russie, reflète dans sa propre vie le changement dans l’immigration au pays qui vient désormais beaucoup moins des îles britanniques.

Réagissant au discours identitaire du Groupe des Sept, Paraskeva Clark proclame que l’art est non seulement l’âme de la nation, mais aussi sa conscience.

Elle affirme ainsi le rôle éthique et moral de l’art, un rôle dynamique, car ancré dans le social.

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Paraskeva Clark, Autoportrait, 1931–32. Museum London. Exposition Uninvited.

Un bélier et un tournant pour les femmes artistes

Dans son introduction au catalogue, Ian Dejardin décrit cette exposition comme étant un «bélier». Sarah Milroy revient sur cette notion dans une entrevue.

Faut-il voir le projet de cette exposition comme étant de détrôner la vision étroite et exclusive de l’art canadien promulguée par le Groupe des Sept, en jetant une lumière sur d’autres visions artistiques plus inclusives et qui reflètent davantage la réalité canadienne de cette époque?

Si c’est le cas, Uninvited au Musée McMichael sera un tournant dans l’histoire de l’art canadien.

Panneaux bilingues, catalogue en ligne en français

Les panneaux contextualisant les œuvres et les artistes sont bilingues. Le catalogue en français sera disponible en ligne sous peu.

Accompagnant le regroupement des œuvres de chaque artiste, les textes du catalogue offrent une prolifération de voix et de perspectives. Ils sont signés par des artistes, des penseurs et des écrivains, ainsi que par des spécialistes universitaires et muséaux.

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Quand un catalogue n’est pas seulement un catalogue

Ce catalogue du Musée McMichael représente plus qu’un catalogue. Selon Sarah Milroy, il est le signe que des ressources importantes et adéquates ont été allouées à ce projet.

Finie, on l’espère, la regrettable tendance du passé où des budgets restreints devaient suffire pour certaines expositions dédiées aux femmes artistes canadiennes (avec quelques exceptions)… Les musées hésitant à engager des ressources en raison des doutes quant à la rentabilité de projets focalisés sur les femmes.

Le catalogue imprimé, qui est en anglais, est somptueusement relié. Les images sont toutes en couleurs.

Une exposition marquante

Cette exposition se positionne bien pour marquer le moment définitif où les femmes artistes canadiennes contemporaines du Groupe des Sept prennent leur place sur un pied d’égalité avec les hommes artistes de leur époque.

Uninvited est tout simplement incontournable. Au Musée McMichael jusqu’au 16 janvier 2022.

Auteur

  • Mary Elizabeth Aubé

    Chroniqueuse livres et activités culturelles pour enfants, et expositions d'art. Publie dans diverses revues des comptes rendus de livres et des essais sur la francophonie nord-américaine.

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