Faut-il siffler la fin de la fessée?

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La fessée a traversé le temps. «La tyrannie du maître», par Hans Holbein le jeune (1497-1543). Photo: Wikimedia Commons 1.bp.blogspot.com/-m51Owm-JYDA/UjWaILRkcpI/AAAAAAAALSs/6OsdjGrKj3U/s1600/birch_bundle.jpg, domaine public. Dans «Le bon petit diable» (1865), de la comtesse de Ségur, le jeune Charles dissuade sa tante MacMiche de lui administrer la fessée en collant des visages de démon sur ses fesses. Photo: éditions Hachette
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Publié 26/03/2023 par Marine Ernoult

Au Canada, les châtiments corporels sont autorisés par l’article 43 du Code criminel. Les défenseurs des droits des enfants pressent Ottawa d’abolir cette disposition. Ils sont unanimes: les punitions corporelles comme la fessée n’ont aucune valeur éducative et ont, au contraire, des effets négatifs.

Régulièrement, le sujet des châtiments corporels revient de plein fouet dans l’actualité, à la faveur d’un fait divers saisissant l’opinion. En novembre dernier, ce sont des allégations d’isolement forcé et d’immobilisation d’élèves dans une école primaire de Whitehorse, au Yukon, qui ont fait polémique.

Peu de temps après, le Nouveau Parti démocratique (NPD) du Yukon en a profité pour réitérer son appui au projet de loi d’initiative parlementaire C-273. Présenté à la Chambre des communes en mai 2022, ce texte a pour ambition de bannir la punition physique du Code criminel.

Car depuis plus d’un siècle, l’article 43 du Code criminel confère aux parents et aux enseignants le pouvoir d’utiliser une force raisonnable pour corriger un enfant qu’ils ont sous leur garde.

«C’est en totale contradiction avec les valeurs canadiennes d’ouverture et de tolérance», regrette Lila Amirali, pédopsychiatre et présidente de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (ACPEA).

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Employer une «force modérée»

En 2004, la Cour suprême a pourtant confirmé ce droit à condition d’employer une «force modérée» et de respecter certaines règles. Néanmoins, la décision du plus haut tribunal du pays n’a pas fait l’unanimité parmi ses neuf juges: trois s’y sont opposés. Signe que ce sujet de société reste controversé.

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Lila Amirali. Photo: courtoisie

La Cour avait été saisie par un organisme de défense des droits des enfants, la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, qui voulait faire invalider l’article 43.

Les juges ont estimé que la disposition n’allait pas à l’encontre du droit des enfants à la sécurité, garanti par la Charte des droits et libertés, et qu’elle ne constituait pas un châtiment cruel ou inhabituel.

L’article 43, dit le jugement, donne aux parents et aux enseignants «la capacité d’éduquer raisonnablement l’enfant sans encourir de sanctions pénales».

Les exposer à cet «instrument radical» qu’est le droit criminel pour une correction physique mineure pourrait, à l’inverse, «détruire les rapports au sein de la famille et à l’école», peut-on encore lire dans la décision.

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Le droit de correction est toutefois limité. Les tout-petits de moins de 2 ans doivent en être épargnés, dit le tribunal, de même que les adolescents qui pourraient réagir à une punition physique par un «comportement agressif ou antisocial».

L’emploi d’objets, comme une règle ou une ceinture, est proscrit, tout comme les gifles et les coups à la tête.

Pour la juge en chef Beverley McLachlin, «l’emploi d’une force modérée doit avoir pour seul objectif d’éduquer ou de discipliner l’enfant». Elle ajoute que «le droit de correction ne peut pas excuser les accès de violence qui sont dus à la colère ou à la frustration».

«Une vision dépassée»

Les conditions fixées par la Cour suprême ne sont pas du goût des défenseurs des droits des enfants. «Ça ne repose sur une aucune donnée scientifique et ne protège pas les enfants contre l’abus physique», réagit Elisa Romano, professeure à l’école de psychologie de l’Université d’Ottawa.

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Elisa Romano. Photo: courtoisie

Elle dénonce par ailleurs «une vision dépassée», perpétuant l’idée que «les enfants sont la propriété de leurs parents plutôt que des sujets de droit».

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«Les conceptions de ce qui est raisonnable en matière de châtiment corporel varient énormément d’un individu à un autre, ce n’est pas suffisamment clair et précis», estime quant à lui Jean-Michel Robichaud, professeur à l’école de psychologie de l’Université de Moncton.

Autrement dit, tout le monde n’a pas la même appréciation de la légèreté: une petite fessée paraîtra grande à une autre personne, et inversement.

Aux yeux des deux psychologues cliniciens, les gifles et les fessées n’ont aucune valeur éducative et sont au contraire dangereuses.

Des châtiments dangereux

«Dans l’immédiat, la claque peut permettre d’obtenir de l’enfant qu’il arrête ce qu’il fait, car il a peur, il est blessé et humilié, décrit Elisa Romano. Mais ce n’est pas un moment d’apprentissage où l’adulte lui explique pourquoi son comportement est inacceptable.»

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Jean-Michel Robichaud. Photo: courtoisie

Pour Jean-Michel Robichaud, «le but de l’éducation est que l’enfant obéisse aux règles parce qu’il en a compris le sens».

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Or, l’atteinte corporelle n’atteint pas cet objectif selon lui. «Il ne comprend pas l’intention éducative et apprend la violence par l’exemple. Il acquiert le geste et il va l’utiliser à son tour pour obtenir ce qu’il veut», alerte le psychologue.

Un avis que partage la pédopsychiatre Lila Amirali. «Les corrections physiques sont souvent disproportionnées, car elles sont données en fonction de l’humeur et de l’impulsivité des parents, plus qu’en fonction des actes de leurs enfants.»

Des enfants violents à leur tour

De nombreuses recherches ont démontré les effets néfastes à court et long terme des châtiments corporels sur le développement et la santé mentale des plus jeunes.

En 2002, une méta-analyse (nouvelle analyse de données existantes) de 88 études a mis en évidence une corrélation entre le fait d’avoir reçu des coups (en excluant les cas de maltraitance) et une plus grande agressivité ultérieure, la dégradation du lien parent-enfant, une hausse des comportements délinquants ou encore une propension supérieure à maltraiter ses enfants.

Selon une étude réalisée aux États-Unis en 2010, les petits qui reçoivent fréquemment une fessée à 3 ans ont toutes les chances de devenir plus agressifs dès l’âge de 5 ans.

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D’autres travaux ont révélé un risque de glissement vers la maltraitance. Au Canada, trois recherches majeures ont montré que 75 % des cas de maltraitance graves avaient lieu pendant des épisodes de punition physique.

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Fessées dans les aventures de Tintin (éditions Casterman) et de Lucky Luke (éditions Dupuis).

Par quoi remplacer les coups?

Contre la violence éducative, Elisa Romano et Jean-Michel Robichaud prônent la discipline positive. Mais ils insistent: l’éducation positive, ce n’est pas le règne de l’enfant roi auquel on passe tout.

«Ne pas frapper n’empêche pas de donner un cadre stable et solide, de fixer des limites, les plus jeunes ont besoin de discipline», relève Elisa Romano. «L’autorité parentale doit être exercée, mais par d’autres moyens, en étant un guide.»

La première alternative, c’est la parole. «On doit aider l’enfant à mettre des mots sur ses émotions pour désamorcer les crises, lui expliquer pourquoi c’est important d’obéir et l’encourager à trouver des solutions», détaille Jean-Michel Robichaud.

«Ça règle la grande majorité des situations. Si ça ne marche pas, il faut remplacer les punitions brutales par des conséquences liées à l’action: réparer sa bêtise, s’excuser…», poursuit-il.

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Les deux psychologues mettent également l’accent sur le besoin de créer un climat empathique et bienveillant. «Les enfants sont constamment en train d’apprendre, leur cerveau est en plein développement, on ne peut pas exiger qu’ils soient parfaits, c’est légitime qu’ils fassent des erreurs», affirme Jean-Michel Robichaud.

Elisa Romano appelle de son côté à faire preuve de patience et à avoir des attentes réalistes, adaptées à l’âge.

Changer la loi

Dans ces conditions, faut-il retirer l’article 43 du Code criminel? Le Repeal 43 Committee, qui regroupe près de 200 organisations au pays, le réclame depuis 1994.

«Ottawa doit envoyer un message clair: aucune forme de violence n’est autorisée, la force est inacceptable pour contrôler le comportement d’une personne vulnérable», insiste Fred Phelps, directeur général de l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS), membre du Committee.

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Fred Phelps. Photo: courtoisie

Le responsable associatif rappelle que l’article 43 contrevient à l’article 19 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée par le Canada. Son retrait est par ailleurs l’un des points de l’appel à l’action du rapport de la Commission de vérité et réconciliation.

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Lors des élections fédérales de 2015, l’abrogation de l’article 43 a fait partie des promesses de campagne du Parti libéral. De nombreux projets de loi en ce sens ont également été déposés au Parlement, mais aucun n’a abouti.

Une société encore réticente

En réalité, la question semble toujours susciter des réticences au sein de la société. «Certaines familles, déjà dans le système de protection de l’enfance, ont peur de perdre toute latitude dans l’éducation de leurs enfants. Elles voient le retrait de l’article comme une manière de les surveiller davantage», analyse Fred Phelps.

«Une partie de la population a peur que sans cette protection légale, toute personne qui donne une fessée ou une gifle soit poursuivie et mise en prison», ajoute Elisa Romano.

La psychologue estime ces inquiétudes infondées. Elle prend l’exemple de la Suède, le premier État à avoir interdit les châtiments corporels en 1979. «Il n’y a pas plus de parents poursuivis depuis.»

Au contraire, depuis la promulgation de la loi, beaucoup moins d’enfants sont morts des suites de violence familiale et le nombre de procès pour maltraitance d’enfants a diminué, de même que le nombre d’enfants soustraits à la garde de leurs parents.

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Pour dépasser ces craintes, pédopsychiatres et travailleurs sociaux sont unanimes: la suppression de l’article 43 doit s’accompagner d’investissements massifs dans des programmes de soutien aux parents. Avec un objectif: montrer qu’il est possible de dissocier l’autorité des coups.

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