Et pourquoi pas un brin de poésie?

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Publié 20/11/2007 par Gabriel Racle

S’il est une année tout indiquée pour cueillir quelques brins de poésie, c’est bien cette année 2007: déclarée officiellement Année René Char, du nom de ce grand poète français, elle célèbre le centenaire de sa naissance, mais elle commémore aussi le 150e anniversaire de la publication des Fleurs du mal, de Charles Baudelaire, et le 100e anniversaire du décès (6 septembre 1907) de Sully Prudhomme, qui a écrit un jour: «La poésie, c’est l’univers mis en musique par le cœur.»

Certes, la poésie n’a pas toujours bonne presse, pour les uns elle remémore des souvenirs scolaires, pour d’autres elle relève d’une élite intellectuelle seule apte à en saisir le sens, pour certains elle n’évoque qu’un idéal abstrait peu prometteur.

Mais elle a ses amoureux, pour lesquels elle exalte une magnificence et une munificence incomparables. Il faudrait peut-être simplement se laisser guider par des poètes comme Baudelaire et Char, pour se faire une idée de ce qu’elle est et de ce que cet art du langage nous apporte d’inutile et de suprême. Peut-être le poète est-il un peintre, qui joue avec toutes les couleurs de sa palette pour nous offrir un tableau qui nous touche, nous plaît ou nous émeut?

Lorsqu’il publie les Fleurs du mal, en 1857, Baudelaire (1821-1867) introduit une conception moderne de la poésie en fondant ce que l’on peut qualifier de nouvelle esthétique. Tout en utilisant des formes poétiques traditionnelles, il transforme le genre poétique pour réaliser une «transmutation» du monde réel, créer (au sens étymologique du grec poiein, qui signifie «créer») un langage poétique qui soit «sorcellerie évocatoire», le révélateur des «correspondances» mystérieuses existant dans le monde.

Cocteau a dit un jour: «Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement.»

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Ainsi, la poésie met en lumière, incite à une nouvelle interprétation, à aller au-delà des apparences, à jeter un regard neuf par son langage nouveau, musical, ensorceleur. Elle révèle des correspondances inattendues, comme dans le titre du recueil où fleurs est en contraste avec mal, les fleurs représentant la beauté et le mal, la souffrance.

Mais en un sens, cet oxymore est un symbole de l’harmonie que Baudelaire trouve dans l’union des contraires. Comme Platon, il pense qu’au-delà du réel-sensible, accessible par les sens, il existe un ordre caché, divin, supérieur. Et la poésie serait pour lui un moyen d’accéder à cet univers caché.

La poésie, pour Baudelaire, est donc une vision nouvelle, une découverte différente du monde qui nous environne, un moyen de comprendre le rapport de l’humain au monde qui l’entoure. Elle n’est pas un exercice futile, mais une expérience de liberté. Peut-être faut-il la lire comme une peinture, un tableau, qui forme un ensemble saisissant par la disposition de ses éléments, le jeu et l’association des couleurs et des contrastes, les oppositions de l’ombre et de la lumière.

C’est Baudelaire lui-même qui en parle: «Ce qui serait vraiment surprenant, ce serait que le son ne pût pas suggérer la couleur, que les couleurs ne pussent pas donner l’idée d’une mélodie, et que le son et la couleur fussent impropres à traduire des idées… » (Richard Wagner et Tännhauser). «C’est lui encore qui admire et défend tant de peintres à qui l’avenir appartient, de Delacroix et Courbet à Manet et Cézanne», de dire l’académicien Jean d’Ormesson.

Il établit en effet entre peinture et poésie des «correspondances». «Cette confrontation des poèmes, essais et critiques de Baudelaire et des oeuvres graphiques qui l’ont fasciné, éclaire d’un jour remarquable toute sa création.» Baudelaire est le prophète de la modernité.

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Or, on rencontre chez René Char pareille association entre peinture et poésie, notamment entre le rôle du poète et Georges de La Tour, ce peintre qu’il a découvert à une exposition de 1934. Car pour René Char, ce grand poète français né il y a 100 ans dans le département du Var, au sud de la France, le dialogue est constant entre écriture et peinture.

Et nombreux sont les peintres et sculpteurs de ses amis (Braque, Giacometti, Picabia et d’autres), qui ont peint et dessiné à partir de ses textes. «Poésie du mot plus que de la phrase, du geste plus que du mot, l’art de Char est proche du silence. Il n’est pas étonnant dès lors que les tableaux de Georges de la Tour l’aient autant tenté» et notamment la Madeleine.

Pour Char la «justesse de Georges de La Tour», comme dans ce tableau, consiste «à entrer dans le cercle de la bougie», à nous «y tenir », «en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant».

Car Char aime ces rapprochements qui permettent de symboliser «l’exaltante alliance des contraires» qu’il recherche, un peu comme Baudelaire. Il est fasciné par un jeu d’oppositions comme nuit/jour; obscurité/ lumière, avec cette idée que tout n’existe que par la présence maintenue de son contraire: Char, «un poète de la nuit qui se fait lumière, de cette ligne blanche matinale pouvant tout aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du crépuscule ».

J’emprunte à Paul Veyne parlant de Char ces quelques lignes: «C’est une poésie à deux niveaux… Le niveau apparent est une oeuvre d’art non figurative, belle par les rythmes et le choix des mots comme un tableau abstrait est beau par la palette du peintre et par son dessin. Il suffit de feuilleter le recueil de ses poèmes… comme on traverse rapidement une pinacothèque… Reprocher à Char son obscurité, c’est reprocher aux figures de Picasso ou de l’art roman de n’être pas “ressemblantes”.» Et plus loin il ajoute: «Ces lignes s’achèvent sur un ample vocatif qui fait penser à une gravure de Goya.»

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Peut-être faudrait-il simplement lire un poème de Baudelaire, de Char ou de quelque autre poète, comme on regarde un tableau, figuratif, abstrait, et se laisser saisir par l’éclat des mots, du rythme, des consonances ou des dissonances, des contrastes entre l’ombre et le jour, et découvrir ce trait, cette tache de lumière comme dans les clairsobscurs de Georges de La tour, les paysages de Renoir ou les tableaux du Tintoret, ces maîtres de la lumière, et en garder le souvenir et l’émotion.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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