Entrepreneuriat féminin: faire sa place dans un monde d’hommes

Du financement et des formations adaptées

Stéphanie Guingané, entrepreneuriat féminin
Stéphanie Guingané, fondatrice de Loncani, a reçu une bourse de mérite de Desjardins le 9 mai 2023 à la Société Économique de l’Ontario, à Ottawa. Photo: SÉO
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 14/08/2023 par Clément Lechat

Des acteurs communautaires se mobilisent pour faire tomber les barrières qui restreignent l’ambition des femmes entrepreneures immigrantes et franco-ontariennes. Nous vous proposons un tour d’horizon des solutions.

Lorsque Stéphanie Guingané est arrivée de Côte d’Ivoire en 2013, elle ne pouvait pas trouver des produits de beauté adaptés à sa couleur de peau et à ses cheveux frisés. Les bons commerces  existaient pourtant dans la région d’Ottawa-Gatineau, mais la nouvelle arrivante ne les dénichait que par le bouche-à-oreille.

Stéphanie Guingané a donc fondé Locani, une plateforme internet où les professionnels de la beauté noire peuvent vendre leurs produits et services. Pour développer son projet, elle a participé à la quatrième édition de l’incubateur EntrepreneuriatSÉO, au sein de son volet dédié aux femmes entrepreneures noires, à la Société Économique de l’Ontario (SÉO).

Galères de financement

D’après Thuy Vuong Blais, coordinatrice de l’incubateur EntrepreneuriatSÉO, l’entrepreneuriat est un chemin semé d’embûches pour les femmes qui s’y aventurent. Les difficultés d’accès au financement sont encore trop courantes. «Les femmes sont très vite confrontées à un système qui est plutôt construit par les hommes, même aujourd’hui au XXIe siècle», regrette-t-elle.

Les préjugés et discriminations sexistes quant à la capacité des femmes en affaires persistent, selon la coordonnatrice, pour qui certains fonds d’investissement ne les considèrent pas toujours comme des candidates crédibles et dignes de confiance.

Publicité
Société Économique de l'Ontario,
Thuy Vuong Blais, coordinatrice de l’incubateur EntrepreneuriatSÉO. Photo: Courtoisie

Les entrepreneures dépendent donc plus souvent de leurs économies personnelles pour investir dans leur projet que les hommes, qui ont davantage recours aux financements dits traditionnels, soit le capital-risque, les crédits commerciaux, et le recours à des investisseurs providentiels, selon le rapport sur l’état des lieux de l’entrepreneuriat féminin au Canada du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE)

Ce financement différent cantonne beaucoup de femmes au secteur des services, qui est plus facile d’accès sans de grands investissements, mais les éloigne des domaines à forte croissance, comme la technologie et l’industrie manufacturière, note le PCFE.

«Puisqu’elles ont des capacités financières moindres, les femmes vont être moins à même de faire grandir [leur entreprise] comme elles le souhaitent. Quelque part, leur impact économique est moindre par rapport à leur contreparties masculines», résume Thuy Vuong Blais.

Trouver des solutions

Face à l’ampleur du problème, Thuy Vuong Blais estime que la SÉO pourrait offrir une aide financière au lancement, ce qui n’est pas encore le cas pour le moment.

Dada Dada Gasirabo, directrice générale d’Oasis Centre des Femmes, un centre de services pour les femmes francophones de la région de Toronto, observe également cette réticence des investisseurs à prêter de l’argent aux entrepreneures.

Publicité

«On ne croit pas aux femmes», affirme-t-elle d’emblée. «Les entreprises des femmes pensent d’abord au bien des autres. C’est pourquoi elles ne sont pas considérées», estime-t-elle.

Dada Gasirabo, Oasis centre des femmes
Dada Gasirabo, directrice générale d’Oasis Centre des Femmes.

Depuis dix ans, le programme d’entrepreneuriat féminin Tremplin d’Oasis s’efforce de faire changer les choses. «Les femmes ont la clé dans leurs mains, mais souvent il leur manque un petit coup de pouce pour qu’elles sautent sur le tremplin», raconte Dada Gasirabo.

Les participantes apprennent à développer une idée de projet, à la valider, la tester, trouver les premiers clients, établir une stratégie et un budget.

«Plus les femmes sont prêtes, plus cette barrière [du financement] disparaît», explique Ines Benzaghou, consultante en charge du programme Tremplin.

Selon elle, le concept de produit minimum viable, qu’elle enseigne aux participantes, est essentiel pour gagner en crédibilité. Il consiste à tester un produit final auprès d’un public cible pour obtenir des rétroactions et s’assurer qu’il répond à de véritables besoins. Les entrepreneures peuvent ainsi mieux convaincre les banques du bien-fondé de leur demande de prêt.

Publicité

Une fois que les femmes sont prêtes, Ines Benzaghou les dirige vers les partenaires d’Oasis spécialisés en financement de projets pour obtenir des microcrédits, comme l’Initiative de développement économique du Sud de l’Ontario, le Conseil de la coopération de l’Ontario, et la Fondation Franco-Ontarienne.

Inclusion

L’objectif de Tremplin est de lutter contre les violences économiques faites aux femmes, surtout celles qui ont vécu des abus. L’autonomisation par l’entrepreneuriat est le mot d’ordre de l’incubateur.

Mais il nécessite de créer un espace sécuritaire qui prend en compte les traumatismes vécus par les participantes. Certaines ont été rabaissées par le passé et n’ont plus confiance en elles.

Ines Benzaghou, entrepreneuriat féminin
Ines Benzaghou, consultante pour le programme Tremplin d’Oasis Centre des Femmes. Photo: Courtoisie

«La femme doit se sentir suffisamment à l’aise pour pouvoir partager ses défis, ses soucis, ses peurs», insiste Ines Benzaghou. Elle a établi un règle simple: toutes les idées des participantes sont valides, aucune n’est dénigrée.

«Elles ne vont jamais se sentir jugées lorsqu’elles vont parler de leurs idées […] c’est quelque chose qu’elles ne retrouvent pas dans les programmes d’entrepreneuriat mixtes», estime Ines Benzaghou, qui pense que la parole est plus libre lors des séances de remue-méninges.

Publicité

De son côté, la Société Économique de l’Ontario a misé sur un programme en huit volets pour mieux orienter participants selon leur profils, aspirations et clientèle. Un des volets cible les femmes entrepreneures. Un autre s’adresse aux entrepreneures noires.

«La raison pour laquelle nous avons voulu créer des groupes un peu homogènes, c’est pour nous donner un espace où nous pouvons adresser des problématiques plus communes à cette population-là», explique Thuy Vuong Blais.

Depuis son lancement en novembre 2021, l’incubateur a formé 130 entrepreneurs et futurs entrepreneurs, dont 66% de femmes et 50% de résidents permanents.

Moyennant 182$, les participants ont accès à des cours en ligne pendant 14 semaines, des rencontres en groupe pour réseauter et rencontrer des experts, et du coaching individuel pour faire avancer leur projet. La cinquième cohorte débutera ses apprentissages en septembre 2023.

Réussir ensemble

Pour faire face aux problèmes de financement, aux préjugés, et à tous les autres obstacles sur leur chemin, Oasis et la SÉO encouragent les femmes à se serrer les coudes. Tremplin dispose, par exemple, d’un groupe WhatsApp d’entraide où les participantes et les allumi se posent des questions, se donnent des conseils et s’échangent des services.

Publicité

L’entraide entre pairs permet de faire grandir la force collective des femmes entrepreneures, selon Thuy Vuong Blais. La coordonnatrice de l’incubateur a développé un club pour les anciens membres du programme.

«J’adore ce peer mentoring parce qu’avoir le sentiment de toujours recevoir est parfois stigmatisant. Savoir que nous avons une valeur et que nous pouvons redonner est un sentiment tellement puissant pour nourrir la confiance en soi», explique-t-elle.

El Gibbor Djiki, entrepreneuriat féminin
El Gibbor Djiki a reçu le soutien d’autres entrepreneures pour développer son projet de spa mobile. Photo : Courtoisie

Thuy Vuong Blais donne l’exemple de El Gibbor Djiki, une entrepreneure qui a participé à la première cohorte de l’incubateur. Elle a reçu l’aide d’allumi doués en photographie et en vidéo pour développer l’image de marque de son spa à domicile «Twish Spa». Ils lui ont offert une séance de photographie gratuite et ont réalisé une vidéo promotionnelle.

Symbole de solidarité entre femmes, El Gibbor Djiki utilise aujourd’hui la plateforme Loncani de Stéphanie Guingané pour vendre ses services.

Auteurs

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur