En Provence sur les pas de Cézanne

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Publié 16/05/2006 par Magdaline Boutros

Il disait vouloir mourir en peignant. Le 15 octobre 1906, alors que Paul Cézanne peint «sur le motif» la montagne Sainte-Victoire, un orage foudroyant éclate. Cézanne continue malgré tout à peindre «sa» montagne pendant plusieurs heures. Courait-il après son destin ou était-il tout bonnement hypnotisé par la minéralité et les reflets de Sainte-Victoire, véritable obsession dans les dernières années de sa vie? On le ramènera mourant chez lui. Une semaine plus tard, cette figure illustre de la peinture moderne s’éteindra dans son appartement de la rue Boulegon à Aix-en-Provence.

L’année 2006 marque le centième anniversaire de la mort de Cézanne. Pour l’occasion, l’Office de tourisme d’Aix-en-Provence a développé un circuit touristique permettant d’approfondir l’oeuvre du père de la peinture moderne et de suivre ses traces dans cette Provence qu’il a tant chérie.

D’Aix à Arles en passant par l’Estaque et Gardanne, Paul Cézanne aura eu un rapport passionné, voire viscéral, avec le pays de son enfance. Après avoir tenté sa chance à Paris, il reviendra naturellement vers Aix. «Me revoilà tombé dans le midi dont je n’aurais jamais dû m’éloigner pour me lancer à la poursuite chimérique de l’art», écrira-t-il à Monet en 1895.

Il ne retrouva nulle part ailleurs l’intensité de la lumière, l’éclat des couleurs et la dureté des contrastes qui ont fait de la Provence un lieu de convergence des peintres de l’époque. Véritable peintre de la couleur, Cézanne sera parmi les premiers à faire apparaître les formes par la couleur, rendant les contours obsolètes. Brisant plusieurs des conventions de l’Académie, il peindra directement «sur le motif», c’est-à-dire à l’extérieur. Une véritable révolution pour l’époque.

L’oeuvre de Cézanne constitue un moment charnière dans l’histoire de la peinture. Il jettera les bases de la peinture moderne, pavant notamment la voie au fauvisme et au cubisme, en trouvant un passage vers «autre chose». En une soixantaine d’années, le classicisme laissera sa place à la peinture moderne.

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La ville d’Aix est au coeur de cette découverte de l’oeuvre de Cézanne et du rôle déterminant de sa peinture dans l’avènement de l’art moderne. En plus du musée Granet qui présentera cet été l’exposition Cézanne en Provence, quatre sites permettent d’appréhender ses oeuvres dans leur cadre d’origine.

Le Jas de Bouffan

La vaste propriété familiale du Jas de Bouffan est située à la porte d’Aix, à environ deux kilomètres du centre-ville. En 1859, le père de Paul Cézanne achète le domaine, comprenant une ancienne bastide (maison typiquement provençale) entourée d’un parc et d’une allée de marronniers. Cézanne y vivra une quarantaine d’années et y réalisera 41 toiles, 15 aquarelles et 17 dessins.

C’est là que Cézanne fait l’apprentissage de la peinture en plein air. Son chevalet installé dans le parc entourant la demeure, il immortalisera tour à tour l’allée de marronniers, le bassin, la maison. Le Jas de Bouffan sera le centre de gravité de la géographie provençale de Cézanne. Plusieurs chefs d’oeuvre y seront peints, dont Les joueurs de cartes et L’Allée des marronniers.

Le domaine est ouvert au public pour la première fois à l’occasion de l’Année Cézanne. La maison n’étant pas rénovée, ce n’est que le salon de la demeure qui est accessible. Une projection d’images permet de visualiser les peintures que Cézanne avaient réalisées directement sur les murs du salon. La pièce n’est toutefois pas décorée, laissant une impression davantage de lieu délabré que d’espace mythique. De l’extérieur, on peut également apercevoir le premier atelier de Cézanne aménagé sous les toits.

Les carrières de Bibémus

Passionné du rapport à la matière et des formes géométriques inhérentes à la nature, Cézanne trouva dans les carrières de Bibémus un lieu de travail et d’exploration privilégié.

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La surface du plateau de Bibémus, situé au pied du massif de Sainte-Victoire à quelques kilomètres du centre d’Aix, a été exploitée en carrière de pierres aux XVIIe et XVIIIe siècles. Durant la période où Cézanne les fréquente, les carrières sont quasiment à l’abandon. À partir de novembre 1895, le peintre loue un bastidon, encore sur pied aujourd’hui, où il entrepose ses toiles et séjourne de temps à autre.

Cézanne travaille là aussi directement sur le motif, explorant plus particulièrement la densité des formes, la richesse des couleurs et les masses géométriques. Le plateau est parsemé de gigantesques pierres taillées au couteau. Les toiles de Bibémus posent clairement les prémisses du cubisme. Trois plans se détachent de ses toiles où des volumes synthétisés au maximum apparaissent. Picasso n’a-t-il pas dit: «Cézanne, c’est notre père à tous»?

L’accès aux carrières en voiture est extrêmement périlleux, mieux vaut laisser la voiture au bas de la montagne dans le stationnement des Trois bons dieux (attention, signalisation difficile à percevoir). Des navettes permettent ensuite de se rendre à l’entrée du site.

L’atelier des Lauves

L’atelier des Lauves est sans conteste l’endroit le plus émouvant à visiter du parcours cézannien. On pénètre dans ce lieu comme on entre à la dérobée chez quelqu’un, sur la pointe des pieds, ne voulant rien déranger, rien brusquer.

La présence du peintre y est encore si fortement perceptible. Vient-il tout juste de quitter les lieux ou cela fait-il vraiment un siècle que le peintre n’y est plus venu? L’odeur des pommes en lente décomposition (son fruit fétiche, lui qui prenait tant de temps à peindre) et les objets de son quotidien sont là, nous envoûtant dans l’univers quasi-sacré du peintre. Au regard de son chevalet, de ses manteaux et tabourets, certains visiteurs, gorgés d’émotions, en viennent même aux larmes.

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Cézanne travailla à l’atelier des Lauves les quatre dernières années de sa vie. Il le fit construire au nord d’Aix en 1901, après la vente du Jas de Bouffan. De là, il partait peindre sur le motif.

Ses ultimes Sainte-Victoire ou encore ses derniers portraits ou natures mortes sont le fruit d’une synthèse encore jamais atteinte entre la lumière, la couleur, la composition et la figuration. Les Grandes Baigneuses ont également été achevées à l’atelier des Lauves, après sept ans de travail. L’année suivant sa mort, Picasso réalisera Les Demoiselles d’Avignon – clin d’oeil aux Grandes Baigneuses – un ultime hommage à Cézanne.

Sainte-Victoire

Cézanne représentera la montagne Sainte-Victoire dans plus de 80 peintures réalisées entre 1870 et 1906. Le peintre lui vouait une réelle admiration: «Regardez cette Sainte-Victoire. Quel élan, quelle soif impérieuse du soleil, et quelle mélancolie, le soir, quand toute cette pesanteur retombe…», disait-il. Envoûté par sa minéralité, son jeu d’ombres et de lumière, Cézanne en fera un point central de son oeuvre, tentant de la cerner et de la comprendre par le mouvement de son pinceau.

De son atelier, il partait à pied, chevalet sur le dos, vers le chemin de la Marguerite. De là, toujours installé au même endroit, il réalisera 11 huiles sur toile et 17 aquarelles. La ville d’Aix a aménagé sur ce lieu le «terrain des peintres», où dix panneaux reproduisent les principales «Sainte-Victoire» peintes par Cézanne. Pour s’y rendre, il faut trouver le petit chemin dissimulé entre les maisons. Les indications sont quasi-inexistantes. Mieux vaut se munir d’un bon plan et de bonnes indications avant de s’y rendre.

La visite de ce parcours cézannien peut se faire en une ou deux journées. L’entrée aux trois sites payants (atelier des Lauves, carrières de Bibémus, Jas de Bouffan) est de 5,50 euros au plein tarif, 2 euros pour les 13 à 25 ans et gratuite pour les enfants. Il est également possible de se munir d’une «passe 3 sites» au prix de 12 euros. Les réservations pour les trois sites sont obligatoires: tél: 33-(0)4-42-16-10-91.

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Plusieurs sites cézanniens à l’extérieur d’Aix valent également le déplacement. Nous en discuterons la semaine prochaine.

110 oeuvres de Cézanne réunies au Musée Granet

Pour souligner le centenaire de la mort de Cézanne, la National Gallery of Art de Washington ainsi que la Communauté du Pays d’Aix et la Réunion des Musées nationaux ont rassemblé 110 oeuvres du célèbre peintre aixois dans le cadre de l’exposition Cézanne en Provence. Après un séjour à Washington, l’exposition sera au Musée Granet d’Aix-en-Provence du 9 juin au 17 septembre.

Les oeuvres de Cézanne seront rassemblées autour de thèmes paysagers, tels que le Jas de Bouffan, l’Estaque, Gardanne, les carrières de Bibémus, Sainte-Victoire, etc. D’autres thèmes seront également explorés tels que les baigneuses, les portraits et les natures mortes.

Cette exposition est au centre des événements commémorant l’oeuvre de Cézanne. Les billets s’envolent très vite! Mieux vaut réserver le plus tôt possible. L’entrée est de 10 euros en plein tarif, 7,50 euros pour les 13 à 25 ans et gratuite pour les 12 ans et moins. Les billets sont en vente à l’Office de tourisme d’Aix-en-Provence (www.aixenprovencetourism.com) et à la FNAC (www.fnac.com).

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