Les juges doivent contribuer activement à la protection des droits linguistiques

Selon la Cour suprême

L'édifice de l'Industrielle Alliance à Toronto.
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Publié 22/11/2018 par Gérard Lévesque

«Il incombe d’abord et avant tout au juge du tribunal fédéral visé de veiller au respect des droits linguistiques des témoins, des parties et de toute personne qui comparaît devant lui.»

C’est le rappel que la Cour suprême du Canada a fait, le 16 novembre dernier, dans le dossier Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers Inc., 2018 CSC 50.

Dans un jugement unanime rendu par les juges Clément Gascon et Suzanne Côté avec l’accord des sept autres juges, il est écrit que la question que le juge doit se poser n’est pas de savoir si la personne a choisi une langue officielle, ce choix étant inévitable, mais plutôt de savoir si elle a choisi cette langue de manière libre et éclairée.

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La juge Suzanne Côté. (Photo: Philippe Landreville, Collection de la Cour suprême du Canada)

«Le choix n’est pas libre et éclairé si la personne qui le fait croit à tort qu’elle doit s’exprimer dans la langue du juge ou d’une partie.»

«Puisque trois participants à l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt ont clairement indiqué vouloir parler français, et se sont tous fait répondre qu’ils devaient continuer en anglais, nous ne pouvons conclure qu’ils ont choisi l’anglais de manière libre et éclairée, bien au contraire.»

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Le juge ne doit pas se substituer à l’interprète

Un passage du jugement va surement réjouir les professionnels de l’interprétation judiciaire. La Cour recommande aux juges de ne pas s’improviser interprètes.

«Nous estimons hasardeux pour un juge d’offrir de traduire des témoignages pour permettre à une partie de les comprendre. Les juges n’ont souvent pas l’expertise requise pour traduire correctement des témoignages, et leur intervention risque de poser problème en appel si la traduction s’avère erronée. Une telle substitution des rôles est à déconseiller.»

La Cour réitère son interprétation des droits linguistiques

Lorsque nécessaire, la Cour suprême du Canada peut renverser une de ses décisions antérieures.

Par exemple, dans le dossier Société des Acadiens, [1986] 1 RCS 549, une majorité de juges était d’accord à traiter le français comme une langue étrangère devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick. Selon cette interprétation des droits linguistiques, les justiciables et juristes de langue française n’avaient pas le droit d’être compris directement en français par les juges.

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Le juge Clément Gascon. (Photo: Andrew Balfour, Collection de la Cour suprême du Canada)

L’arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, a changé la situation. La Cour a établi les principes qui doivent guider l’interprétation des droits linguistiques, notamment l’égalité d’accès des francophones et des anglophones aux institutions du pays, en l’occurrence aux tribunaux.

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Si, au Canada, des élus ou des fonctionnaires anglo-suprémacistes rêvaient de la possibilité que la présence de nouveaux juges sur le banc du plus haut tribunal du pays allait favoriser un retour à l’ancienne jurisprudence, ceux-ci vont être déçus.

La Cour a plutôt confirmé de nouveau sa jurisprudence bien établie: les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle.

Les provinces et territoires doivent respecter la jurisprudence

En Alberta, des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice plaident encore qu’en matière d’interprétation des droits linguistiques, ils suivent la décision Société des Acadiens et qu’ils n’ont pas à respecter l’arrêt Beaulac.

En Ontario, le gouvernement dirigé par Doug Ford a déposé le 15 novembre dernier le projet de loi 57 Loi de 2018 visant à rétablir la confiance, la transparence et la responsabilité. Ce projet de loi élimine complètement la mise en place de l’Université de l’Ontario français et a un impact capital sur le Commissariat aux services en français: deux décisions qui sont à l’opposé du principe constitutionnel de protection des minorités et du principe constitutionnel de progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.

À moins que les provinces respectent la jurisprudence du plus haut tribunal du pays en matière d’interprétation des droits linguistiques, on se dirige vers des années de mobilisations de nos communautés et de litiges devant les tribunaux…dans la langue officielle de notre choix libre et éclairé.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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