Des nouvelles qui sont des séquences de vie

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Publié 02/12/2008 par Paul-François Sylvestre

Les Éditions L’Interligne ont récemment publié deux recueils de nouvelles: Enfance et autres fissures, de Marie Cadieux, et Le Bonheur est une couleur, d’Aurélie Resch. Ces deux auteures ont déjà écrit des scénarios de films et une telle expérience cinématographique colore leur traitement du sujet. Résultat: chaque nouvelle devient une intense séquence de vie.

Enfance et autres fissures est le premier recueil solo de Marie Cadieux (elle avait auparavant codirigé le collectif des nouvellistes d’Amours à mort en 2000). Comme le titre l’indique, il y a deux partie: Enfance regroupe cinq nouvelles, Autres fissures en fait autant. Chaque texte met en scène un enfant qui, malgré une vie heureuse, doit faire face à une petite terreur. Mona, par exemple, découvre ce que le temps représente lorsqu’elle commence à aller à l’école, à suivre un horaire rigide: classe, récré, classe, repas, classe, récré. Tous les jours, toujours.

Le style de Marie Cadieux est finement ciselé. Dans la nouvelle «Pablo Dugas», elle écrit que la mère de Pablo lui dit non, ce qui «fait un bruit dans son ventre, comme quand on arrache les feuilles des épis de blé d’Inde». Dans «L’uniforme», la nouvelliste prend un accent poétique et écrit qu’«Antoine fronce les sourcils: le souci de l’instant est tout autre». Cette nouvelle regorge de chiac, langue qui mêle le français et l’anglais à la manière de certains Acadiens de la région de Moncton.

Marie Cadieux prépare justement le documentaire L’éloge du chiac. Part two. Pas étonnant que les dialogues de sa nouvelle fassent usage du chiac: J’care pas… (I don’t care). Y’a fait son very best. Y’avait vraiment pas la way de solver des cas… (the way to solve). Il l’a juste pas standé…(he could just not stand it).

Dans la seconde partie du recueil, des adultes tout jeunes encore, ou en bout d’existence, vivent leur sensualité, leur engagement, leur sensibilité dans un onirisme qui les replonge, sans même qu’ils en soient conscients, dans les craquelures de l’enfance. Chacun se sent mille fourmis dans le bas du dos. «Alerte, alerte», disent les petites bestioles, mais aussi «Plaisir, chaleur, réconfort, repos mérité». Et voilà que défilent devant nous des petits clips de personnages plongés dans un monde digne de Barbe-Bleue ou de Hansel et Gretel.

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À n’en point douter, Enfance et autres fissures est un recueil dont les textes visent à empêcher les enfants qui sommeillent en nous de s’endormir trop profondément.

Le Bonheur est une couleur

«Le bonheur ne se sculpte pas. Pas plus qu’il ne s’invente. Il se goûte, il se vit et il rayonne.» Voilà ce qu’Aurélie Resch trouve nécessaire de préciser en préambule à ses dix nouvelles. Elle aurait pu ajouter que le bonheur se raconte en diverses tonalités. Des couleurs, des odeurs et des images éclatent à la lecture de cette dizaine de textes qui nous font respirer une bouffée d’air pur.

Chaque nouvelle met le plus souvent en scène un jeune garçon («il») qui vit un moment intense. Tantôt c’est le bonheur du petit-fils qui rend visite à sa grand-mère, tantôt c’est l’enfant qui assiste l’étonnante métamorphose des chenilles en cocons et papillons. La nouvelle la plus fascinante décrit l’engouement d’un garçon qui reçoit de sa mère un album sans texte ni image, un album aux pages transparentes. Naît aussitôt une histoire, celle du «roi Louis V et Cinq font Dix» (quelle belle trouvaille!).

Aurélie Resch écrit qu’«un texte est vide de texture. Ce sont le corps et l’âme qui lui donnent vie.» Elle maîtrise cet art avec un rare doigté. Chacune de ses histoires arrive en quelques pages à toucher la profondeur de ce sentiment appelé bonheur. Sentiment volatile comme les paillettes du maquillage du comédien dont le rôle est d’incarner le bonheur sur scène. Sentiment profond et éphémère enfoui en nous et qui n’attend qu’une petite étincelle pour s’épanouir.

À n’en point douter, Le Bonheur est une couleur se veut un recueil qui ravit les sens et qui colore la vie de ses lecteurs et lectrices.

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Marie Cadieux, Enfance et autres fissures, nouvelles, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2008, 84 pages, 13,95 $.

Aurélie Resch, Le Bonheur est une couleur, nouvelles, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2008, 96 pages, 13,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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