Des «histoires d’horreur» causées par la pénurie d’enseignants francophones

enseignants
Le ministre de l'Éducation, Stephen Lecce.
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Publié 18/05/2023 par Émilie Gougeon-Pelletier

Résolvez cette équation: une pénurie d’enseignants + une éducation francophone, qu’est-ce que ça donne? Pour certains élèves, la réponse est: neuf enseignants en une seule année scolaire.

Cette semaine, trois associations francophones du milieu de l’éducation ont envoyé une lettre au ministre  Stephen Lecce pour déplorer le «manque de volonté politique» face à la pénurie d’enseignants francophones en Ontario.

Anne Vinet-Roy AEFO
Anne Vinet-Roy: AEFO.

Dans leur lettre conjointe, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO) et l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) exigent une «intervention immédiate» de la province dans ce dossier.

Ces organisations accusent le ministre Lecce de ne pas mettre suffisamment rapidement en œuvre la quarantaine de recommandations qu’avait faites un groupe de travail qui s’était précisément penché sur cette pénurie de personnel enseignant francophone, il y a deux ans.

«Monsieur, madame tout le monde»

Il survient, dans des écoles de l’Ontario français, de véritables «histoires d’horreur», estime le président de Parents partenaires en éducation (PPO), Paul Baril.

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Paul Baril PPO
Paul Baril: PPO.

Ce dernier souligne que dans une classe en particulier, au Nord de la province, une classe de 26 élèves a connu neuf différents enseignants au cours d’une même année scolaire.

«Il y a eu des monsieur, madame tout le monde, des gens comme vous et comme moi, pas du tout qualifiés.» — Paul Baril.

Il arrive, dit-il, qu’un adulte non qualifié soit envoyé dans une classe «au moins pour qu’il y ait un adulte dans la salle qui assure la sécurité des élèves».

Depuis que la pandémie de covid a forcé le milieu scolaire – enseignants et élèves confondus – d’adopter l’éducation en mode virtuel, un retard important a été observé.

Mauvais résultats en mathématiques

Les résultats en mathématiques représentent un bon exemple de ce fléau: entre 2018 et 2022, les élèves franco-ontariens ont vu leur niveau en mathématiques diminuer de manière plus prononcée que les élèves des écoles anglophones, selon l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE).

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Les écoles de langue française ont connu, durant cette période, la baisse la plus marquée en mathématiques, et pourtant, elles étaient avant cela championnes en la matière.

Mais ce retard est impossible à rattraper lorsque les élèves apprennent d’un enseignant qui n’a pas les outils nécessaires, ou de suppléants qui se succèdent tous les 50 jours, soutient M. Baril.

«Comme parents, on se sent découragés, tristes, parce que c’est le rôle d’un parent d’accompagner son enfant en éducation.»

Lever drapeau franco-ontarien Toronto 2022
Des centaines d’élèves de nos écoles françaises sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville de Toronto lors du lever du drapeau franco-ontarien 2022. Photo: archives l-express.ca.

Une crise de ressources humaines

La pénurie d’enseignants francophones représente une crise de ressources humaines.

C’est donc dans le bureau de Jean-Éric Lacroix que se trouve le nerf de la guerre; il est le directeur des ressources humaines du Conseil des écoles catholiques du centre-est (CECCE).

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«Il n’y a rien qui me fait sentir pire que de devoir dire à une direction d’école qu’on ne peut pas embaucher quelqu’un pour remplir un poste.» — Jean-Éric Lacroix.

Il indique ne pas avoir de «tiroir magique» pour combler tous les postes, et c’est ce qu’il trouve le plus difficile.

Parfois, il est obligé de remplacer un enseignant deux, trois, quatre fois au cours d’une année scolaire.

Même si le CECCE et les conseils scolaires francophones de la région de la capitale fédérale peuvent compter depuis longtemps sur la proximité de l’Université d’Ottawa et du personnel enseignant québécois, les choses ont changé au cours des dernières années, affirme Jean-Éric Lacroix.

Glendon
Le Collège bilingue Glendon de l’Université York (photo: archives l-express.ca) forme des enseignants, tout comme l’Université de l’Ontario français à Toronto, l’université d’Ottawa et l’Université Laurentienne à Sudbury.

Affichage de postes à l’année longue

«Le Québec est aussi un compétiteur. Il y a quelques années, nous avions l’avantage du salaire, mais maintenant, ce n’est plus tellement le cas.»

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enseignants, ACEPO
Anne-Marie Gélineault: ACÉPO.

La situation n’est peut-être pas aussi dramatique qu’elle peut l’être dans les conseils scolaires francophones plus éloignés des centres urbains, mais les pratiques ont tout de même changé avec le temps.

«Avant, on embauchait notre personnel suppléant au printemps, et on en avait suffisamment pour l’année scolaire, et on recommençait le processus d’embauche au printemps prochain. Là, on doit toujours afficher des postes à combler en continu. Ça n’arrête jamais», révèle le directeur des ressources humaines du CECCE.

Stratégie provinciale

Lorsque le groupe de travail avait présenté son rapport visant à rétablir l’équilibre dans le système d’éducation franco-ontarien au gouvernement Ford, le ministère de l’Éducation s’était engagé à considérer leurs recommandations.

enseignants, AFOCSC
Johanne Lacombe: AFOCSC.

Le ministre Lecce avait retenu 32 des 37 recommandations contenues dans le rapport. Il annonçait un plan complet, prévoyant notamment une pochette de 12 millions de dollars sur quatre ans.

Son gouvernement avait aussi annoncé son intention de s’appuyer sur les immigrants francophones et sur l’Université d’Ottawa, l’Université de l’Ontario français (UOF) et la Laurentienne pour accroître le nombre de candidats du domaine de l’enseignement.

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Bientôt 3000 enseignants non qualifiés?

Le groupe de travail avait estimé que chaque année, plus de 500 personnes non qualifiées enseignent dans les écoles francophones de l’Ontario, et disait que si aucun geste n’était posé, ce nombre pourrait grimper à 3000 d’ici 2025-2026.

«Jusqu’à présent, le manque d’attention que le gouvernement a semblé porter à la pénurie, une situation frôlant la catastrophe pour le système scolaire de langue française, est difficile à expliquer», ont écrit les présidentes Anne Vinet-Roy (l’AEFO), Anne-Marie Gélineault (ACÉPO) et Johanne Lacombe (AFOCSC), dans leur lettre envoyée cette semaine.

«Le besoin est maintenant. Quand allez-vous mettre sur pied les recommandations du comité tel que promis en 2021?» – Le député néo-démocrate Guy Bourgoin, à Queen’s Park cette semaine.

Le porte-parole de l’Opposition officielle aux Affaires francophones a aussi critiqué l’absence d’une institution postsecondaire dans le Nord de l’Ontario permettant la formation des enseignants depuis le couperet tombé sur l’Université Laurentienne.

Le député Guy Bourgouin.

Le ministre de l’Éducation Stephen Lecce assure que son gouvernement a augmenté de 50% le nombre d’éducateurs spécialisés certifiés francophones.

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«Nous avons mis en place les éléments importants et demandons que les nouveaux éducateurs soient mieux formés en mathématiques et en lecture. On veut 2000 enseignants de plus pour que le système puisse se développer», a-t-il répondu.

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