«Démantèlement» de la francophonie à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa

Université d'Ottawa médecine
Des lettres envoyées à des gestionnaires de l’Université d’Ottawa dévoilent les inquiétudes de dizaines de francophones, qui estiment que la francophonie de la Faculté de médecine est en proie à un «démantèlement». Photo: Martine Leroux, Francopresse
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Publié 03/03/2025 par Marianne Dépelteau

Des dizaines de médecins et d’universitaires francophones disent voir un «démantèlement progressif des Affaires francophones» à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa. Dans des lettres envoyées à plusieurs administrateurs, ce groupe argumente que la réduction du nombre de postes affecte l’offre de cours en français.

«Plusieurs décisions récentes, prises sans concertation, suscitent de vives inquiétudes», est-il écrit dans une lettre envoyée le 15 janvier au doyen de l’époque de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, Bernard Jasmin.

Medecine, Université d'Ottawa
L’ex-doyen Bernard Jasmin.

Ce dernier a démissionné de son poste le 28 janvier. Dans l’annonce de son départ à ses collègues, que Francopresse a obtenu, il n’évoque aucune raison en lien avec les Affaires francophones. Sa démission a pris effet le 2 mars.

Le 21 février, le provost de l’Université d’Ottawa, Jacques Beauvais, a lui aussi reçu une lettre: «Au nom des Affaires francophones de la Faculté de médecine, nous souhaitons exprimer notre profonde préoccupation quant aux développements survenus ces trois dernières années, qui semblent mener à un démantèlement progressif des Affaires francophones.»

Le vice-recteur associé à la Francophonie de l’Université d’Ottawa, Yves Pelletier, a été mis en copie conforme sur ces deux lettres, dont Francopresse a obtenu copie.

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Les signataires de ces lettres, qui se décrivent comme la «grande équipe des Affaires francophones», se composent d’environ une soixantaine de médecins, de membres du corps professoral et du personnel ainsi que de partenaires francophones.

«On perd des joueurs importants»

Dans la lettre au provost, la «grande équipe» dénonce la «suppression ou la fusion de postes sans remplacement équitable par rapport à la contrepartie anglophone».

«L’organisation des unités, depuis longtemps chapeautées par une équipe de deux directeurs, l’un anglophone et l’autre francophone, sera maintenant dirigée par une seule personne “bilingue”», est-il écrit dans la lettre adressée à Bernard Jasmin.

ex-doyen
Le provost Jacques Beauvais.

Cette lettre fait aussi état du transfert de certaines responsabilités, dont possiblement certaines des activités de formation médicale continue, vers le bureau anglophone de développement professionnel continu.

Un stage francophone en santé mondiale au Bénin, mis en place par les Affaires francophones et géré par cette même équipe depuis une vingtaine d’années, a été transféré au Bureau international.

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La «grande équipe» doute de la capacité de ces bureaux et du personnel anglophone de bien comprendre la réalité francophone.

Elle rappelle, dans sa lettre au doyen, qu’«historiquement, les secteurs majoritairement anglophones ont eu du mal à gérer l’offre francophone et ont même préféré laisser les [Affaires francophones] en être les maîtres d’œuvre».

Accélération des efforts de «démantèlement»

Trois personnes de la «grande équipe» se sont confiées à Francopresse, qui a accepté de protéger leur identité parce qu’elles craignent des représailles. Des noms d’emprunt seront utilisés.

Si tout pouvait se faire en français il y a dix ans dans la Faculté de médecine, ce n’est plus le cas aujourd’hui, dit Xavier, en entrevue avec Francopresse. C’est la première fois qu’il remarque de manière si «flagrante et évidente» une telle tentative de «démantèlement».

Les trois sources affirment qu’une dizaine de personnes ont récemment quitté la Faculté ou les Affaires francophones de la Faculté volontairement à cause des circonstances devenues difficiles pour les francophones.

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Plusieurs de ces personnes occupaient des rôles clés, en gestion et en finances par exemple, et n’ont tout simplement pas été remplacées. Leur départ fait qu’il sera plus difficile pour l’équipe de remplir son mandat francophone, disent les sources.

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L’Université d’Ottawa. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse

Une ex-employée, Claudine, a quitté la Faculté en partie parce qu’elle était «tannée» de devoir «défendre la présence» des francophones. Dominique, qui est toujours en poste, parle d’une tentative d’«assimilation» mise en action il y a quelques années.

Tous les trois pointent la gouvernance de la Faculté. Ils sont aussi inquiets quant au poste de vice-doyen consacré aux Affaires francophones de la Faculté, qui est vacant depuis plusieurs semaines.

Dans leurs lettres, les signataires formulent plusieurs demandes pour que les francophones reprennent le contrôle de la formation en français.

Selon Xavier, il est difficile de cerner les raisons pour justifier un tel «démantèlement», même si des motifs économiques ont été avancés par les gestionnaires. «Depuis quelques années, beaucoup des postes qu’on avait, soi-disant parce qu’il y a des coupures budgétaires à faire, ont été fusionnés avec le volet anglophone», dit-il.

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Les défis budgétaires ayant toujours existé, Xavier s’explique mal l’accélération récente du «démantèlement».

Défis de recrutement pour la Faculté

En réponse aux questions Francopresse, l’Université d’Ottawa a envoyé une déclaration Bernard Jasmin, qui était encore doyen à cette date. Il indique que la Faculté prend le temps d’assurer une «sélection rigoureuse» d’un vice-doyen ou d’une vice-doyenne, un «processus important qui ne peut pas se faire du jour au lendemain».

«La faculté est consciente que le recrutement de membres francophones du corps professoral pour enseigner et superviser étudiants·tes et résidents·tes a été, et reste toujours, un défi critique. Il s’agit d’une priorité essentielle pour les Affaires francophones et la Faculté de médecine», écrit-il.

Bernard Jasmin a aussi assuré que dans sa «gouvernance actuelle», la Faculté compte à des postes clés des Franco-Ontariens, des Québécois «très sensibilisés à la francophonie en milieu minoritaire», des étrangers «bien installés au Canada en provenance de pays francophones» et des «gens parfaitement bilingues».

«Tous et toutes, sans exception, font la promotion de la francophonie, soutiennent et développent d’importants programmes et initiatives en français, précise-t-il.

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Nous sommes déterminés à faire rayonner la francophonie dans tous les aspects du travail de la faculté, à améliorer continuellement la qualité de nos programmes et à assurer d’excellents soins aux patients.»

Pas de réponse

Plusieurs questions posées par Francopresse sont restées sans réponse, de même que des questions envoyées à Jacques Beauvais et à Yves Pelletier.

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Le vice-recteur Yves Pelletier.

Des étudiants francophones de la Faculté de médecine ont aussi adressé une lettre à Bernard Jasmin.

La «grande équipe» en fait mention au provost dans sa propre lettre: «[Les étudiants] dénoncent le manque de ressources académiques et humaines nécessaires pour assurer un enseignement équivalent en français, ce qui les amène à se sentir moins valorisés que leurs homologues anglophones et à s’inquiéter pour la qualité de leur formation.»

En entrevue, Xavier confirme qu’il y a un «impact» sur la population étudiante francophone. Par exemple, de plus en plus de cours leur sont donnés en anglais, faute de personnel francophone, déplore-t-il, ou le contenu des cours est en anglais. C’est notamment le cas lorsqu’un professeur francophone doit s’absenter et qu’il n’y a pas de remplaçant francophone.

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Une discussion «franche»

Des membres de la «grande équipe» ont rencontré l’ancien doyen de la Faculté de médecine, Bernard Jasmin, la doyenne intérimaire actuelle, Melissa Forgie, et le vice-doyen Alan Chaput, le 5 février.

Francopresse a obtenu une copie du sommaire des discussions rédigé par des membres de la «grande équipe» et transmis aux autres signataires. Ce document souligne des avancées, notamment l’augmentation du nombre d’étudiants inscrits dans le volet francophone.

doyenne
La doyenne intérimaire Melissa Forgie.

Mais le ton change rapidement: «Nos droits sont souvent bafoués, et la Faculté doit prendre des mesures concrètes pour y remédier afin que notre autonomie et notre compétence soient reconnues et respectées. Il faudra voir à protéger nos droits avec un cadre juridique clair.»

Dans la lettre envoyée au provost le 21 février, la «grande équipe» fait mention de cette rencontre, qualifiant la discussion de «franche».

«Un retour par courriel de la Dre Forgie nous assure […] que les termes de référence du poste de vice-doyen·ne aux Affaires francophones nous seront soumis pour consultation. Bien que ces engagements constituent un premier pas, ils demeurent insuffisants», précise la lettre.

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