Débat québécois sur les droits linguistiques: vive la différence!

droits linguistiques, Québec
Les discussions sur le statut du français au Québec débordent sur la laïcité, la gestion scolaire et le fédéralisme asymétrique.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 22/12/2021 par Marc Poirier

Le Québec a-t-il vraiment agi comme fer de lance du français au Canada? La communauté anglophone du Québec est-elle menacée? La Cour suprême du Canada est-elle sur la bonne voie en maintenant son principe d’interprétation large et libérale des droits linguistiques? La préservation de la langue de la majorité au Québec est-elle en confrontation avec la minorité anglophone?

Voilà autant de questions qui ont été débattues récemment lors d’une table ronde virtuelle sur les droits linguistiques, parrainée par le CRIDAQ: le centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Trois experts du droit linguistique ont échangé leurs points de vue lors de la deuxième conférence de la série Regards croisés sur le débat linguistique au Québec : au-delà du projet de loi 96. La discussion portait sur les droits linguistiques des minorités.

Parmi les conférenciers: Benoît Pelletier, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, ex-politicien et spécialiste en droit constitutionnel; Patrick Taillon, professeur de droit à l’Université Laval, spécialiste en démocratie, constitution et renouvellement du fédéralisme; Lorraine O’Donnell, historienne, professeure à l’Université Concordia et experte des communautés anglophones du Québec.

Personne, toutefois, n’y représentait un point de vue francophone hors Québec.

Publicité

La Cour suprême pas si «large et libérale»

D’entrée de jeu, Benoît Pelletier a émis des doutes sur le principe d’interprétation «large et libérale» adopté par la Cour suprême du Canada depuis l’arrêt Beaulac en 1999. Selon lui, cette méthode d’interprétation n’a pas été favorable au Québec quand celui-ci s’est présenté devant la Cour suprême dans des causes reliées à la loi 101.

Québec, loi 96, loi 101, langue française, nation
Benoît Pelletier

«Chaque fois, en bout de piste, cette interprétation a donné tort au Québec sur des enjeux touchant essentiellement la Charte de la langue française. Ainsi, la Cour suprême n’a fait qu’invalider ou diluer des dispositions de cette charte depuis qu’elle a été adoptée.»

Benoît Pelletier estime aussi que le fait d’associer en tout temps les droits linguistiques à la recherche de l’égalité entre le français et l’anglais «est une erreur» lorsqu’il s’agit de protéger la langue de la majorité au Québec.

Le français menacé au Québec?

«Un droit linguistique quelconque peut n’avoir pour but que de favoriser l’une des deux langues officielles. Et ce, même si celle-ci n’est pas réellement menacée. Pourquoi une mesure législative ne pourrait-elle pas viser une langue officielle menacée, comme c’est le cas pour le projet de loi 96?»

Le projet de loi 96 présenté en mai dernier à l’Assemblée nationale du Québec vise à moderniser la Loi 101 afin de renforcer le fait français au Québec… Notamment en inscrivant dans la Constitution canadienne que le français est la seule langue officielle et la langue commune du Québec.

Publicité

Il mentionne aussi l’intention du gouvernement québécois de «jouer un rôle de premier plan au sein de la francophonie».

Le droit à la gestion scolaire «dangereux»?

De son côté, Patrick Taillon, de l’UQAM, avance que ce même désavantage envers le Québec s’applique quand vient le temps d’interpréter l’article 23 de la Charte des droits et libertés. Soit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Et, suite à l’arrêt Mahé, le droit de gestion des établissements scolaires par la minorité.

droits linguistiques
Patrick Taillon

Le fait que cet article ne soit pas assujetti à la clause dérogatoire de la Constitution et paraît être interprété par la Cour suprême comme un droit plus important que les autres «me semble être très dangereux», selon lui.

Il a fait valoir qu’au Québec, la communauté anglophone «joue le tout pour le tout» avec l’article 23. Elle l’a évoqué à plusieurs reprises. Réussissant par exemple à sauvegarder ses commissions scolaires… Et surtout dans la tentative actuelle visant à soustraire ses écoles à la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) et du port de signes religieux.

Droits linguistiques asymétriques

Patrick Taillon est d’avis que le principe de «là où le nombre le justifie» inscrit dans l’article 23, et qui en limite la portée, trace la ligne entre ce qu’il est raisonnable d’exiger d’une province et pas d’une autre.

Publicité

«La limite « là où le nombre le justifie » n’a de sens qu’à l’extérieur du Québec puisque le nombre, au Québec, le justifie pas mal toujours.»

Combiné à la plus grande importance de cet article, cela donne, dit-il, «le signal avant-coureur d’un élargissement de la portée de l’article 23 et d’une réduction de la marge de manœuvre du Québec pour imposer en éducation des normes communes et une plus grande autonomie évidemment de gestion de la communauté anglophone».

Exode des anglophones du Québec

Quant à elle, Lorraine O’Donnell a voulu démontrer comment la communauté anglophone a été négativement touchée par la loi 101 adoptée en 1977, et même avant. C’est le cas de l’exode des anglophones, qui avait commencé avant 1977, mais accentué par la loi 101.

droits linguistiques
Lorraine O’Donnell

«La population de langue maternelle a chuté de 29% entre 1971 et 2006, soit 70 000 personnes de moins. Et l’émigration linguistique se poursuit.»

En raison de l’application de la règle des ayants droit, de l’exode et de la baisse de natalité, les inscriptions à l’école anglophone ont diminué de 61% entre 1971 et 2020. «Le bilinguisme chez les anglophones, par contre, a atteint 69% en 2016.»

Publicité

Lorraine O’Donnell aimerait que certains éléments du discours envers les Anglo-Québécois changent. «Une pensée persistante chez les politiciens québécois veut que les anglophones soient la minorité la mieux traitée au monde. À mon avis, les expériences qu’elle a vécues depuis l’adoption de la loi 101 démontrent le contraire.»

Patrick Taillon souligne que le portrait présenté par Lorraine O’Donnell est exact, mais seulement si on s’en tient à la communauté historique «sans y intégrer le transfert linguistique des allophones».

«Alors, il y a comme une espèce de solitude entre une majorité francophone historique, qui vit ses insécurités linguistiques et identitaires, et une minorité anglophone historique qui, elle, vit à peu près les mêmes difficultés, surtout à l’extérieur de Montréal.»

«Quand on regarde la situation des anglophones en Estrie, en Gaspésie – ils vivent des difficultés, une espèce de sentiment de déclin qui est tout à fait légitime.»

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur