Le Canada anglais et la laïcité québécoise: de quoi je me mêle?

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Le maire de Toronto, John Tory. Photo: archives l-express.ca
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Publié 20/12/2021 par François Bergeron

Il faut remonter à la campagne du camp du «non», lors du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, pour trouver une comparaison avec l’actuel mouvement d’appui canadien-anglais aux adversaires de la Loi sur la laïcité de l’État du Québec interdisant les signes religieux dans la fonction publique.

À l’initiative du maire John Tory, le conseil municipal de Toronto a voté, jeudi dernier, un appui à hauteur de 100 000 $ au mouvement de contestation de la «Loi 21» devant les tribunaux.

Électorat multiculturel

C’est la ville de Brampton du maire Patrick Brown qui a parti le bal. Coïncidence: Brown et Tory sont deux anciens chefs du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario.

Patrick Brown

La vraie corrélation se trouve toutefois du côté des sensibilités de leur électorat très multiculturel. La nouvelle mairesse woke de Calgary a emboîté le pas. D’autres élus locaux sont sollicités à travers le pays.

L’ambassadeur du Canada à l’ONU, Bob Rae, est sorti de sa réserve coutumière pour opiner que la loi québécoise bafoue la Déclaration universelle des droits humains! Il est impossible qu’il n’en ait pas reçu l’autorisation de ses maîtres au bureau de Justin Trudeau.

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Ce genre d’intervention, d’une juridiction municipale ou provinciale dans les affaires d’une voisine, est rarissime.

Et incongrue: la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui n’est pourtant pas sur la même longueur d’onde que le gouvernement de François Legault, a averti ses homologues du Canada anglais que leur initiative – deux ans après l’entrée en vigueur de la Loi 21 – pourrait nuire à leur cause.

Réaffectation d’une enseignante en hijab

C’est la réaffectation à des tâches administratives d’une enseignante en hijab à Chelsea, au nord de Gatineau, qui a frappé les imaginations au Canada anglais.

L’erreur vient du conseil scolaire anglophone Western Québec, qui dit avoir embauché l’enseignante Fatemeh Anvari sans réaliser qu’elle allait contrevenir au code vestimentaire interdisant les symboles religieux et politiques. Cette enseignante n’aurait jamais dû se retrouver devant des élèves, a confirmé le premier ministre François Legault.

Au Canada anglais, la mise en scène d’élèves et de parents éplorés, et bien sûr de l’enseignante elle-même affirmant qu’elle n’est rien sans son foulard, fournit un exemple concret de l’«iniquité» de la loi québécoise «contraire à la Charte canadienne des droits et libertés»… Et, par ricochet, un exemple de la «xénophobie» de la majorité des Québécois qui l’approuvent.

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Loi 21, Le premier ministre du Québec, François Legault.
Le premier ministre du Québec, François Legault, avait appuyé le projet de loi sur la laïcité de l’État par une courte allocution vidéo le 31 mars 2019. «Au Québec, c’est comme ça qu’on vit», avait-il justifié.

La Loi 21 protégée par la clause «nonobstant»

C’est pour prévenir de tels dérapages que la Loi 21 a été assortie de la fameuse clause «nonobstant» la protégeant d’avance de toute contestation judiciaire fondée sur la Charte.

Des avocats font croire aux contestataires qu’ils ont une chance de persuader la Cour suprême que le Québec n’a pas le droit de soustraire sa Loi sur la laïcité de l’État de l’application de la Charte. C’est un mirage.

Et si la Cour suprême, hallucinée par le cannabis ou un nouveau variant de la covid, leur donnait raison, ce serait la révolution!

Appuis à la laïcité au Canada anglais aussi

Non seulement ce nouveau Quebec-bashing est de nature à revigorer le nationalisme québécois. Mais cette agitation religieuse rétrograde – pas si symbolique et inoffensive qu’elle en a l’air – peut aussi réveiller, au Canada anglais, des oppositions à l’immigration incontrôlée et au multiculturalisme exalté.

On sait que les trois quarts des Québécois réclamaient et soutiennent la laïcité du secteur public. Ça fait au moins dix ans qu’ils en débattent.

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Ce qu’on sait moins, c’est que l’appui à la laïcité – c’est-à-dire à la modernité – tourne encore autour de 40% au Canada anglais. Autrement dit: 40% des Ontariens, Albertains, Néo-Écossais, etc., verraient d’un bon oeil une Loi 21 chez eux!

C’est une base respectable. Pour l’instant elle stagne. L’interdiction du hijab ou du turban dans les comptoirs gouvernementaux, chez les juges et les policiers, ou devant les élèves est impensable en Ontario ou ailleurs au Canada anglais. C’est réglé… comme on croyait ça réglé au Québec.

laïcité
On croyait le débat québécois sur la laïcité terminé. Il est relancé au Canada anglais!

L’affaire embarrasse les chefs des partis politiques fédéraux, qui veulent gagner des appuis au Québec, mais dont plusieurs membres s’opposent maintenant ouvertement à la Loi 21.

Le plus décevant ici est que John Tory est censé être francophile. Il se débrouille relativement bien en français. Patrick Brown aussi. C’est encore trop rare chez les élus ontariens.

On argumentera que la langue n’est pas le sujet ici. Mais, manifestement, aussi francophiles soient-ils, ces élus hors Québec scandalisés par la loi québécoise comprennent encore très mal l’histoire et la culture du Canada français. Et la nature du fédéralisme canadien.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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