Dans les théâtres parisiens (et à Beaubourg) cet été: sacrées familles

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 22/07/2008 par Alain Vercollier

Depuis près de deux millénaires les relations familiales offrent au théâtre occidental l’un de ses ressorts dramatiques les plus puissants. Deux pièces jouées cet été sur deux scènes parisiennes prestigieuses, La Comédie française et l’Odéon, le confirment.

La Comédie française est une institution vénérable qui se consacre traditionnellement aux pièces classiques mais, sous l’impulsion de son administratrice générale, Muriel Mayette, elle vient audacieusement de mettre à son répertoire une pièce contemporaine. Il s’agit de Juste la fin du monde, la dernière pièce de Jean-Luc Lagarce, décédé en 1995, l’un des auteurs français les plus joués actuellement et auquel le Théâtre ouvert a consacré un magnifique portrait hommage il y a quelques mois .

La pièce a une résonnance autobiographique. Un homme, jeune encore, se sachant mortellement malade, décide, après une longue absence, de dire adieu à sa famille.

Il pense dans cette démarche trouver une sorte d’apaisement or, c’est le contraire qui se produit et la mère, la sœur, le frère surtout, vont profiter de sa présence pour régler leurs comptes et exprimer leurs frustrations à son égard: Louis ne pourra rien dire de son secret et les rapports interpersonnels ne seront qu’un jeu d’incompréhension et d’agressions mutuelles. Alors que l’homme, devant la mort, aimerait rencontrer et donner de l’amour, la famille le replonge dans une solitude encore plus profonde.

Jean-Luc Lagarce, par ses dialogues nerveux et justes, rend admirablement bien ce qui se cache de mortifère dans les compliments appuyés, dans les silences blessants qui sont autant de cassures, dans les phrases apparemment anodines mais qui touchent en plein cœur, dans les non-dits et les sous-entendus.

Publicité

La mise en scène sobre et claire de Michel Raskine laisse s’exprimer, sur des tonalités adaptées aux différents personnages, la rancœur de chacun, pendant que s’élève, dans ce huis clos destructeur, la voix puissante et violente d’Antoine qui, tel Caïn, refuse tout à son frère, même le droit de vivre.

L’autre pièce à voir actuellement à Paris date, elle, de 2400 ans et présente une autre famille redoutable: les Atrides. Depuis Atrée, chaque génération est poussée à commettre son lot de meurtres dans un enchaînement fatal de crimes et de vengeances.

L’Orestie d’Eschyle regroupe trois pièces.

La première met en scène le retour d’Agamemnon, le vainqueur de Troie qui va être tué par Clytemnestre, sa femme, et par Egisthe, l’amant de celle-ci.

La deuxième présente le retour d’Oreste qui, encouragé par sa sœur Électre, va venger son père Agamemnon, en tuant le couple adultère et criminel.

Publicité

La troisième est le jugement d’Oreste, auteur du crime par excellence, le matricide. Cette partie de L’Orestie, plus oratoire que dramatique, met fin au cycle de la violence; la déesse Athena saura contenir les Erinyes, filles de la Vengeance et, plaidant pour que le pardon soit accordé à Oreste, pourra instaurer dans la cité un état de droit, le fondement même de la justice et de la démocratie athénienne.

L’intégralité de L’Orestie est jouée sur deux soirées consécutives. Le metteur en scène, Olivier Py, directeur de l’Odéon, montre bien la cohérence interne du texte en reprenant, d’une soirée à l’autre, des éléments unificateurs: la présence d’un chœur (qui chante en grec) et d’un orchestre mais surtout un décor atemporel, métallique, qui, au gré des événements, se construit et se déconstruit comme de grands cubes qui virent sur eux-mêmes et transforment l’espace d’une façon puissante.

Olivier Py, comme à son habitude, (il vient de mettre en scène brillamment The Rake’s Progress de Stravinsky à l’Opéra de Paris) est à l’aise dans les larges tableaux où domine le plaisir visuel; les mouvements de foule, les changements de décor se font dans la légèreté; les acteurs sont dirigés avec précision; la beauté du texte est bien rendue par les images lyriques et la scansion des phrases dues à la traduction d’Olivier Py lui-même. L’originalité d’Olivier Py est incontestable; elle se tient même parfois aux limites de la provocation.

On peut apprécier l’arrivée sur scène d’Agamemnon, au volant de sa DS Citroën des années 60, ayant sur son toit une immense tête de la statue d’Athena et une Cassandre dans un tas de mousseline. On peut comprendre la nudité d’Oreste, puisqu’elle met en valeur le dépouillement physique et mental de l’enfant qui va tuer celle qui l’a mis au monde. Mais on peut contester certains tics (la pluie qui tombe un peu trop souvent selon une météorologie improbable, l’hémoglobine un peu trop largement distribuée) et l’on peut se demander s’il était bien nécessaire, pour rappeler le cannibalisme de l’ancêtre Thyestre, de le faire venir avec une gazinière et une batterie de casseroles.

Malgré ces quelques clins d’œil et ces anachronismes étonnants et détonants et quelques images sanguinolentes qui veulent vraisemblablement déstabiliser le spectateur en exprimant la sauvagerie contenue dans les textes des tragédies grecques, le spectacle est remarquable.

Publicité

Grâce aux immenses moyens techniques savamment utilisés mais, surtout, à l’intelligence et à la sensibilité du metteur en scène, L’Orestie présentée à l’Odéon est un grand moment de théâtre qui met en valeur un texte fondamental dans lequel le logos finit par l’emporter sur la barbarie.

S’il faut encore parler de famille, parlons enfin de la belle exposition Louise Bourgeois qui se termine au Centre Pompidou, à Beaubourg. Louise Bourgeois, d’origine française, a longtemps vécu et beaucoup créé à New-York. Par ses sculptures et ses dessins, elle exprime, elle aussi, les traumatismes qui peuvent définitivement marquer le psychisme d’un individu enfermé dans un cercle de famille morbide: femmes-maisons, maison-guillotine encagée, formes ambiguës où se confondent le masculin et le féminin, arc de l’hystérie, corps démembrés… Nous ne sommes pas très loin de l’atmosphère des Atrides.

Décidément, la famille n’est pas un long fleuve tranquille. Qu’y a-t-il donc au fond de son lit?

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur