Les Conservateurs sont-ils des gens «normaux»?

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Erin O'Toole
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Publié 22/09/2021 par François Bergeron

Alors que les électeurs des provinces de l’Atlantique ou du Québec ont voté en plus grand nombre que la dernière fois pour des candidats du Parti conservateur du Canada, les Ontariens continuent de s’en méfier et de se demander si ce sont des gens «normaux».

Je ne vois pas comment expliquer autrement le plafonnement du vote pour le parti d’Erin O’Toole en Ontario, surtout en milieu urbain, malgré l’usure, les ratés et les dérives du gouvernement de Justin Trudeau.

Le premier ministre a déclenché ces élections du 20 septembre dans le seul but de décrocher une majorité de sièges au Parlement. Au moins, elles auraient pu servir à le remplacer. Le taux de participation serait de 59,4%, l’un des plus bas des temps modernes.

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Le premier ministre Justin Trudeau

Les Conservateurs absents des grandes villes

Le Parti conservateur n’a pas réussi à percer dans le Grand Toronto, aussi rouge en 2021 qu’en 2019.

Si les résultats de lundi soir sont confirmés par le dépouillement du vote par la poste, le PC perdrait même un ou deux sièges au Parlement, avec un pourcentage de vote identique à celui de 2019: 34%. Contre 32% aux Libéraux qui continueraient de gouverner avec 158 élus contre 119 aux Conservateurs, 34 au Bloc québécois, 25 au NPD, 2 aux Verts et zéro au Parti populaire.

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Maxime Bernier

Je mentionne le parti de Maxime Bernier parce qu’il a fait mieux que le Parti vert (5% des suffrages vs 2%), et parce que quelques-uns de ses candidats ont «volé» suffisamment de votes aux Conservateurs pour faire élire des Libéraux dans des luttes serrées.

Évidemment, les Libéraux disent la même chose des candidats néo-démocrates ou verts quand ils perdent une lutte serrée contre des Conservateurs.

Le grand recentrage des Conservateurs

Pourtant, la soirée électorale commençait plutôt bien pour Erin O’Toole dans l’Est du pays, avec quelques sièges de plus qu’en 2019. Habituellement, ça se confirme aussi en Ontario. L’Ouest du pays, bien sûr, reste massivement bleu.

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Annamie Paul

Le grand recentrage du «nouveau Parti conservateur» n’aurait donc servi à rien? Ou il est survenu trop tardivement? Ou c’était une erreur de ne pas suffisamment se démarquer des Libéraux? À trop se coller aux positions libérales on les crédibilise? Pourquoi voter pour de faux libéraux quand on peut voter pour les vrais?

Erin O’Toole va entendre tout ça au cours des prochains mois. Mais le soir du 20 septembre, il n’a rien regretté et il s’est montré réaliste. «Il est clair que nous avons encore du travail à faire pour gagner la confiance des Canadiens», a-t-il dit, soutenant que «cette élection n’a fait qu’empirer les choses» pour le pays.

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Oui, le chef de l’Opposition officielle devra continuer de démontrer aux Canadiens des grandes villes et des banlieues que les Conservateurs avec un C majuscule, comme les conservateurs avec un c minuscule, sont des gens «normaux».

Être normal n’est pas suffisant

Mais être «normal», ce n’est pas un argument suffisant pour inciter le Canadien libéral moyen à voter conservateur. La compétition est forte: la plupart des autres candidats sont «normaux» eux aussi!

Parler français, laisser la religion à la maison, être pro-choix sur l’avortement, anti-choix sur la possession d’armes de guerre, considérer la drogue comme un problème de santé et non de criminalité, respecter l’orientation sexuelle de chacun, s’ouvrir au multiculturalisme… C’est ce qu’on s’attend au 21e siècle de nos élus au Parlement, voire de tous les citoyens.

L’alternance libérale-conservatrice traditionnelle est salutaire, mais elle est menacée si l’une des deux principales options est toujours imbuvable.

Pour un conservatisme légitime

Or, les Canadiens ont le droit d’avoir le choix entre une «gauche» et une «droite» honorables.

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Jagmeet Singh

C’est-à-dire le choix entre une pédale d’accélérateur et une pédale de frein en matière de dépenses publiques, d’endettement et d’intrusion des législateurs dans la vie privée des citoyens et dans leur commerce entre adultes consentants.

Entre des valeurs de compassion face aux plus démunis et d’autres valeurs, toutes aussi légitimes, de libertés et de responsabilités individuelles.

Bref, entre la promotion du «bien commun» et celle du «bien de chacun», deux faces d’une même pièce de monnaie.

Les Conservateurs doivent présenter un plan plus clair pour assainir les finances publiques, réduire la bureaucratie et favoriser la prospérité économique dans les années – pas les décennies – qui viennent. C’est là qu’ils sont censés se démarquer des autres partis, là où ils doivent raffiner leur pédagogie, et là où se trouve leur raison d’être.

Évidemment, il faut revisiter ça face à une guerre ou une pandémie. Mais le reste du temps, ça tient la route.

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Climat de peur

Les Conservateurs n’ont pas réussi non plus à neutraliser ou apaiser l’angoisse de nombreux Canadiens – notamment des jeunes – face aux changements climatiques. On leur fait peur avec ça, donc ils ont peur…

Or, le catastrophisme pseudo-scientifique sur l’évolution du climat et sur ses causes, ainsi que la pensée magique sur les solutions et les futurs «emplois verts», ne sont pas les seules options qui s’offrent à un parti politique «normal». Cet enjeu est gérable. Il y a une bonne marge de manoeuvre entre l’hystérie de fin du monde et le je-m’en-foutisme.

Les Conservateurs devraient être meilleurs pour expliquer ça. Ils pourraient se positionner en alternative politique rationnelle plus intéressante que leurs adversaires, quitte à en promettre encore plus pour lutter contre la vraie pollution de l’environnement et protéger la biodiversité.

Gouvernements majoritaires de plus en plus exceptionnels

Je pense que les gouvernements minoritaires seront de plus en plus la norme au Canada, les gouvernements majoritaires l’exception. On s’éloigne du bipartisme traditionnel à la britannique ou à l’américaine pour ressembler davantage à l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les pays scandinaves, où les gouvernements de coalition sont fréquents.

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Yves-François Blanchet

C’est difficile à imaginer et à accepter pour les chefs et les organisateurs de nos deux grands partis. Mais les électeurs canadiens, eux, le souhaitent depuis un bon moment, puisqu’ils ont permis au NPD et au Bloc de s’incruster dans le paysage politique.

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Depuis deux ans, nous vivons sous un gouvernement libéral-néo-démocrate officieux. Si la campagne d’Erin O’Toole avait été mieux préparée et plus dynamique, on aurait pu se retrouver avec un gouvernement conservateur-bloquiste de facto.

L’avantage est de forcer la collaboration des adversaires pour assurer la bonne gouverne du pays. Le danger est de susciter une surenchère de politiques publiques incohérentes.

Heureusement, en démocratie et dans un pays libre, on peut commettre des erreurs et les corriger aux prochaines élections. En élisant un gouvernement majoritaire s’il le faut!

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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