Connaît-on vraiment l’être cher?

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 30/06/2009 par Paul-François Sylvestre

On croit connaître ceux qu’on aime, puis on s’aperçoit du contraire. C’est alors une douleur, une dure découverte non pas au sujet de l’être cher mais au sujet de soi-même. Voilà le propos que Andrew Sean Greer a choisi de développer dans son troisième roman intitulé L’Histoire d’un mariage. Propos complexe abordé avec beaucoup de nuances et de demi teintes.

Pour plonger dans le vif du sujet, le romancier crée un trio de personnages profonds et les met habilement en scène dans un suspense assez bien maîtrisé. Les trois personnages sont Holland, son épouse Pearlie et l’amant Charles. L’histoire est racontée par Pearlie qui a une immense propension à l’auto-analyse.

Holland est un jeune homme noir d’une grande beauté, à la personnalité mystérieuse. Pearlie, également noire, tombe amoureuse de lui au premier regard. Séparés par la guerre, ils se retrouvent en 1949 à San Francisco et se marient. Pearlie pense vivre un bonheur tranquille. Quatre ans plus tard, la belle histoire vole en éclats lorsqu’elle reçoit la visite d’un certain Charles, homme d’affaires blanc qui lui propose un étrange marché.

Holland et Charles se sont rencontrés durant la guerre de Corée. On sait peu de choses au sujet de leur vécu durant ces années au front, sinon qu’ils en sont sortis… amants. C’est du moins ce que Charles est venu révéler à Pearlie. Décidé de reprendre son homme, il promet d’assurer une vie confortable à l’épouse et à son enfant. Intrigue pour le moins inhabituelle!

La narratrice Pearlie soupèse le pour et contre de chaque sentiment qu’elle éprouve. Ses analyses sont détaillées et elle décortique tous les petits détails de sa vie amoureuse avec soin. Son récit est constamment étayé de remarques introspectives. Elle nous rappelle ceci: «Mais vous connaissez le cœur humain; chaque nuit, il lui pousse une épine.»

Publicité

Puis elle ajoute que «l’être aimé n’existe qu’en fragments, une douzaine au début de l’idylle, un millier si nous l’avons épousé, et le cœur construit à partir de ces fragments une personne entière. Ce que nous créons chacun, puisque notre imagination compense les lacunes, c’est la personne que nous souhaitons.»

Le romancier fait dire à sa protagoniste que la guerre transforme beaucoup de jeunes hommes, que «les secrets abondaient en temps de guerre.»

Quelques-uns de ces secrets ne nous sont malheureusement pas révélés. Nous apprenons que Holland et Charles ont passé un certain moment dans la même section psychiatrique d’un hôpital militaire, mais nous ignorons le moindre aspect de leur vie intime.

De plus, Andrew Sean Greer ne met jamais Holland et Charles dans une même scène. Nous ne les voyons jamais en tête-à-tête. Et le vocabulaire utilisé par la narratrice demeure assez déconcertant. Je veux bien comprendre qu’il s’agit des années 1950, mais nous sommes quand même à San Francisco.

Le mot «homosexualité» n’est pourtant jamais utilisé. Pearlie se demande si son mari peut «admettre ses propres impératifs», s’il fait partie de «ceux-là», des «hommes de ce genre», s’il a été un de ces «garçons incertains». Récit trop aseptisé à mon goût.

Publicité

Selon l’éditeur, L’Histoire d’un mariage peint un portrait de l’Amérique des années 1950, celle de l’affaire Rosenberg, de la guerre de Corée et de la ségrégation raciale. Mais ce portrait se fait en surface seulement. Nous n’assistons pas à une critique de cette société minée par les peurs et les préjugés.

Le roman nous apprend qu’«en étant ce que chacun voulait qu’il fût – le mari, le flirt, le bel objet et l’amant –, et en nous offrant à tous son aimable sourire pour nous faire plaisir, [Holland] nous avait torturés lorsque ce sourire ne nous était pas destiné.» Au fond, nous croyons connaître les autres, et qualifions leurs revirements d’aberrations, de coups de folie, mais nous avons sûrement tort. Ces revirement sont plutôt les instants les plus vrais de leur vie.

Andrew Sean Greer, L’Histoire d’un mariage, roman traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux, Paris, Éditions de l’Olivier, 2009, 276 pages, 32,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur