Colère et chagrin d’un curé patriote

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Publié 20/04/2010 par Paul-François Sylvestre

L’abbé Étienne Chartier est un homme peu connu des historiens, sauf par ceux qui se sont penchés sur la Rébellion de 1837-1838 dans le Bas-Canada. Ces derniers savent que, tout au long de sa vie, le curé Chartier a dérangé. Il a ferraillé avec les évêques, les notables et ses confrères du clergé. Il a prêché, il a beaucoup écrit, il a erré, jusqu’en Louisiane et en Acadie. C’est ce que nous apprend Gilles Boileau dans un ouvrage soigneusement documenté et intitulé Étienne Chartier: la colère et le chagrin d’un curé patriote.

D’abord journaliste, avocat et instituteur, Étienne Chartier veut devenir prêtre. Il reçoit une partie de sa formation théologique de l’abbé Rémi Gaulin, qui deviendra plus tard le premier évêque francophone du Haut-Canada (Ontario). À peine ordonné prêtre, il devient le premier directeur du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, puis on lui confie des cures difficiles. Au moment de la Rébellion de 1837-1838, Chartier est curé de Saint-Benoît, près de Saint-Eustache, haut lieu de la résistance des Patriotes aux autorités britanniques.

Homme qui doute rarement de lui-même et de la justesse de ses actions ou de ses paroles, Chartier est constamment à couteaux tirés avec son évêque. «De refus en échec, d’échec en rebuffade, de rebuffade en remontrance, de remontrance en interdiction, Chartier passera par tous les niveaux de l’humiliation.» Mgr Lartigue, de Montréal, ira même jusqu’à écrire qu’il souhaiterait que son diocèse fût débarrassé de Chartier.

Lartigue entretient de nombreux préjugés qui l’empêchent de juger sereinement des requêtes de Chartier. Il lui envoie des lettres vengeresses. Le curé lui répond toujours, posant une fois la question suivante: «Est-ce que l’on ne peut pas imaginer qu’un prêtre puisse vouloir n’être pas l’esclave de son évêque sans néanmoins vouloir cesser d’être l’esclave de ses principes religieux et de ses devoirs?»

L’auteur de cette biographie précise que Chartier n’est pas le seul «esprit tordu» à être «abandonné à la perversité du cœur» de Mgr Lartigue. Gilles Boileau écrit que «Mgr Lartigue est partagé entre la colère et le chagrin.» Phrase ironique quand on sait que le sous-titre de son ouvrage est «la colère et le chagrin d’un curé patriote».

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Boileau note que «la forte personnalité de l’abbé Chartier et son caractère intransigeant expliquent en partie l’acrimonie de ses relations avec plusieurs des évêques qui furent ses supérieurs. Personne, même pas un évêque, ne le convaincra de transgresser ses principes. C’est certainement avec une profonde tristesse qu’il constate «qu’en Canada un prêtre a toujours tort quand il ne se courbe pas servilement sous son évêque».

Pendant les années agitées de 1837 et de 1838, l’Église Bas-canadienne a fait preuve d’une servilité totale à l’endroit des autorités britanniques, affirmant clairement que le Bas-Canada était une «province conquise». Chartier a été obligé de se réfugier aux États-Unis, comme le chef Louis-Joseph Papineau. Il y joue un grand rôle dans le mouvement patriotique, notamment à Vincennes et à La Nouvelle-Orléans. Il a même failli être curé à Sainte-Anne du Détroit.

Finalement, déçu par Papineau et désespérant de la cause pour laquelle il avait lutté, Chartier accepte, contre son gré, les conditions imposées par Mgr Bourget pour rentrer au pays et reprendre ses fonctions de curé avant de mourir dans une solitude malheureuse. Ce prêtre engagé, sans cesse en lutte contre l’injustice, était avant tout un homme de cœur, lui qui, déjà en 1833, écrivait: «Si un jour le peuple devait être malheureux, le prêtre devra être à ses côtés pour essuyer ses larmes».

Gilles Boileau, avec la collaboration de Léo Chartier, Étienne Chartier: la colère et le chagrin d’un curé patriote, biographie, Sillery, Éditions du Septentrion, 2010, 366 pages, 34,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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