Rêves et illusions d’un «Petit Canada»

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 15/09/2009 par Paul-François Sylvestre

La romancière Micheline Duff a entrepris de raconter une saga qui nous ramène à l’époque de l’exode québécois vers la Nouvelle-Angleterre, à la fin des années 1800. Dans Au bout de l’exil, tome 1 – La Grande Illusion, elle mêle allégrement vérité et fiction pour nous faire vivre «les réalités et les règles de la vie et de la mort, celles de la survie aussi».

Ce sont les secrets de famille d’une amie et de captivantes recherches qui ont amené Micheline Duff à écrire cette poignante saga qui débute au Saguenay en 1880. Joseph Laurin, qui vient de perdre sa femme, décide de tourner la page et de quitter sa vie misérable de fermier-bûcheron. Il le fait de façon on ne peut plus dramatique. Il part avec ses trois filles, confiant de faire fortune dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre.

Le titre du roman apparaît à la page 16, dans une phrase qui montre la détermination de Joseph Laurin: «Si le bonheur se trouvait ailleurs, au bout de l’exil, il irait jusque-là.» L’«ailleurs» fait rêver Joseph. Parti à la recherche d’un emploi aux États-Unis, il traverse la frontière en se disant qu’il a quitté le dénuement pour la prospérité, qu’il a laissé le deuil et les souvenirs amers derrière lui, confiant d’embrasser la résurrection, la renaissance.

Pour Joseph Laurin, Lowell (Massachusetts) est synonyme de «l’argent facile à ramasser», de «l’abondance, l’opulence, le bonheur total». Pourtant, il met beaucoup de temps à arriver à Lowell où des milliers de Canadiens français travaillent dans les manufactures de textile. En route, il rencontre une veuve qui lui fait vite oublier sa Rébecca. Alors que sa défunte femme «lui parlait de décence et de devoir conjugal», l’Américaine se montre «pétillante et affriolante, sensuelle, même.»

La trame romanesque repose sur plusieurs rebondissements où s’entremêlent rêves et illusions, amour et haine, ambitions démesurées et exploitation des travailleurs. Tout y est pour que le lecteur tourne avidement les pages, la curiosité piquée à vif et le cœur vibrant d’émotion.

Publicité

Micheline Duff a effectué une recherche minutieuse sur les conditions de vie dans les manufactures de la Nouvelle-Angleterre et sur «les Petits Canadas», nom donné aux ghettos canadiens-français de Lowell, Manchester, Fall Rivers, etc. Elle note que les Canadiens français des Petits Canadas sont souvent perçus comme des travaillants venus faire de l’argent pour ensuite retourner chez eux avec un magot. Ils ne prennent pas la nationalité américaine. C’est pourquoi les autres immigrants les appellent des «oiseaux de passage», des «rolling stones».

L’auteure brosse un portrait très juste du curé d’une paroisse canadienne-française à la fin du XIXe siècle. Que ce soit au Québec ou à Lowell, le curé ne fait pas qu’exercer son ministère et favoriser la religion dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Il contrôle «l’éducation, la bibliothèque, les journaux…, il joue le rôle de conseiller, d’arbitre, de pédagogue, de travailleur social, d’organisateur, et parfois même de banquier!» Dans le roman, le curé de Lowell n’est pas fictif; il s’agit du père André-Marie Garin, oblat de Marie-Immaculée en poste entre 1868 et 1895.

La dernière page du roman annonce le titre du tome II d’Au bout de l’exil. L’aînée de Joseph Laurin voit son amoureux partir en train, prenant des détours sur un route tortueuse et immuable, inéluctable comme… «Les Méandres du destin». À suivre.

Micheline Duff, Au bout de l’exil, tome 1 – La Grande Illusion, roman, Montréal, Éditions Québec Amérique, 2009, 320 pages, 24,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur