«Cléopâtre est morte»

Hosanna de Michel Tremblay en version anglaise

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Publié 17/10/2006 par Alain Vercollier

Hosanna, la pièce de Michel Tremblay créée il y a déjà 33 ans, garde toute sa force et son impact. On s’en rend compte en allant voir au Young Centre for the Performing Arts (La Distillerie) le spectacle proposé ces jours-ci (en version anglaise) jusqu’au 28 octobre par John Van Burek, le directeur du Pleiades Theatre.

L’intérêt de la pièce ne tient pas tant à la situation marginale des deux protagonistes homosexuels qui, à l’époque de la création, pouvait apparaître provocatrice mais dont l’effet de scandale a été fortement émoussé par l’évolution des mœurs.

La pièce reste d’actualité par la profondeur psychologique des personnages, leur présence, l’émotion qui se dégage de la tension des dialogues. Le texte fortement organisé utilise un temps théâtral où le passé fait irruption dans le présent et se caractérise par une langue drue, populaire, porteuse d’images et de rêves, révélatrice de la vérité des personnages et dont la traduction anglaise sait subtilement donner des équivalents.

La pièce présente deux homosexuels, Claude et Raymond, qui ne vivent à Montréal que sous leur nom d’emprunt: Hosanna et Cuirette. Lorsque la pièce commence, Hosanna revient, le soir d’Halloween, de la traditionnelle soirée costumée des drag queens, habillée en Cléopâtre mais elle vient de subir une terrible humiliation et la présence de son compagnon ne pourra la calmer, bien au contraire, puisque, d’une certaine façon, il a participé à la trahison.

Dès lors commence – c’est la première partie de la pièce – un dialogue serré, vif, incisif qui ressemble fort à un règlement de comptes où chacun s’emploie à jeter à la face de l’autre des reproches et des vérités qui font terriblement mal. Alors qu’elle se sent abandonnée (en pleine nuit Cuirette décide d’aller «au party» de la concurrente Sandra), Hosanna revit douloureusement devant nous, dans un monologue vertigineux, ce qu’a été dans cette soirée d’Halloween, la honte de sa vie, la destruction de son rêve, le fatal incident.

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Cette épreuve redoutable va cependant permettre à Hosanna de se dépouiller d’une personnalité factice. Invitée par son compagnon à se défaire des restes de son costume et de tout son maquillage, Hosanna, dans un geste de dénuement symbolique, saura assumer qui elle est: un homme.

Mettre en scène une telle pièce, dont le bref résumé ci-dessus est loin de rendre la complexité, nécessite une connaissance approfondie du texte. John Van Burek, le co-traducteur avec Bill Glassco des pièces de Tremblay, connaît le texte dans ses moindres nuances et sait exprimer celles-ci sur scène avec finesse et intelligence. John Van Burek a bien compris que Hosanna vit pour le spectacle, qu’elle se donne toujours en spectacle, même quand elle est seule et cette démultiplication du jeu théâtral (elle-même renvoyée sur scène par un miroir omniprésent) est rendue par mille petits gestes vrais (façon de tirer sa cigarette par des gestes amples de la main ou de prendre le téléphone, etc.).

La mise en scène de John Van Burek est dépouillée de tout élément caricatural facile qui renforcerait les clichés (genre Cage aux folles) associés à l’homosexuel efféminé. Il réussit le tour de force de montrer l’intériorité d’un personnage histrionique qui ne vit que par l’extériorisation.

Il faut dire qu’il est aidé par deux bons acteurs; l’un est même exceptionnel, qui porte la deuxième partie du spectacle presque à lui tout seul. Jean-Stéphane Roy (Cuirette) joue juste dans son rôle d’artiste raté, de biker nostalgique, parasite et démodé mais – c’est la pièce qui le veut ainsi, surtout dans la deuxième partie – il apparaît souvent comme le faire-valoir de Salvatore Antonio (Hosanna) qui donne à son personnage, dans sa situation de détresse, une dignité et une présence remarquables.

Le long monologue de la deuxième partie qui fait revivre les différents acteurs de l’événement catastrophe exige, par les nombreuses ruptures de tons, une belle maîtrise de la voix et nous donne beaucoup d’émotion.

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Le décor est fidèle aux didascalies de Michel Tremblay. On peut comprendre l’ajout des portraits- puzzle de Liz Taylor mais le style Warhol s’intègre assez mal à l’atmosphère générale de la pièce. Le costume (la robe rouge, la magnifique coiffure de Cléopâtre), la lumière (qui vient ponctuer les différents niveaux de temporalité et souligner l’univers mental des personnages) participent au succès de ce spectacle qui, sans tape à l’œil, est une magnifique leçon de théâtre et un beau message sur les relations humaines.

Hosanna de Michel Tremblay, traduction de John van Burek, est présentée jusqu’au 28 octobre par le Pleiades Theatre au Young Centre for the Performing Arts. Billetterie: 416-866-8666.

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