Et si le bonheur, ce n’était rien d’autre que la peur de le perdre? Les protagonistes de J’entends plus la guitare, de Philippe Garrel, se questionnent sur l’amour, s’interrogent sur la vie, et finissent par déprimer. Tourné en 1991 et après avoir reçu le Lion d’argent au festival de Venise, le film s’offre une deuxième jeunesse les 9 et 10 mai à la cinémathèque de l’Ontario. Il manque peut-être aujourd’hui de rythme, comparé au cinéma contemporain, mais J’entend plus la guitare demeure un film aussi profond qu’intemporel.
George n’est pas triste, il est grave. Pour lui, là est toute la différence. Être grave, dit-on dans le film de Philippe Garrel, «c’est que quand on est heureux, on sait pourquoi». Cependant, à trop vouloir savoir, répond Christine à George dans la première scène du film, «on ne dit plus rien, on ne fait plus rien».
La réponse paraît niaise sur le coup, et pourtant le laconique scénario de J’entends plus la guitare lui donnera raison. Les personnages se cherchent mais ne se trouvent jamais, trop occupés à se perdre dans leurs pensées, à se morfondre dans le doute. Ils se frottent, ils se toisent, mais ne se sentent pas. George finira seul à force de s’éloigner des autres, de s’écarter pour mieux voir et d’oublier ses proches. À vouloir trop savoir, on oublie tout.
Philippe Garrel signe un film sur les difficiles rapports humains. Epuisée, l’idée est ici intelligemment traitée et se démarque par la justesse de ses dialogues. Les tirades sont profondes et les répliques fusent; chaque phrase, même la plus légère, est lourde de sens. Philippe Garrel s’attarde sur ces scènes de dialogue intense, souvent à deux, scrutant les regards de près et captant le flux changeant des émotions.
Il suit minutieusement les complications, séparations et rabibochages de ses personnages, qui s’en vont puis reviennent, avant de disparaître soudainement. Ils sont peu mais chacun a un caractère bien défini. La caméra de Garrel cherche pourtant à les creuser un peu plus, à défaut de pouvoir pénetrer leur conscience.
Il fallait donc des acteurs solides pour réussir ces longs plan-séquences sentimentaux dont raffole le réalisateur. Le toujours parfait Benoît Regent relève haut la main le défi de la mise à nu intellectuelle, suivi de près par Johanna ter Steege. Ces derniers forment le couple qui sert de base au scénario. Ils sont obnubilés par l’autre, ne veulent faire qu’un quand ils sont éloignés et s’observent à distance quand ils sont proches.