Ce mal qui nous fait du bien

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Publié 23/05/2006 par Dominique Denis

À l’occasion, on tombe sur un disque qui semble émaner d’une plaie vive, du genre que seul peut produire un artiste qui a compris que l’importance d’honorer ses racines («Cet album est dédié à ma mère, ma grand-mère et mon oncle») n’exclut pas, à intervalles réguliers, le besoin de noyer sa mélancolie dans le gros rouge et la musique. Balbino Medellin est Gitan dans les chromosomes et jusqu’au bout de ses doigts de guitariste, mais Gitan de Paname (Barclay/Universal Special Imports) dépasse largement les paramètres qu’on associe au genre.

S’il tutoie la solitude des amoureux («J’sais pas si c’est Pigalle ou tes yeux qui me manquent le plus ce soir»), Balbino ne la chante pas en solitaire, loin de là: sur ce premier album, ses compagnons de route ont pour noms Michel Gaucher, dont le saxo commet un solo tonitruant sur A Chi Li Pu, Régis Gizavo, le roi de l’accordéon malgache, ou encore Brad Scott, l’ancien contrebassiste de Bashung et d’Arthur H.

Quant à ses anges gardiens, ils s’appellent Sergent Garcia, Bernard Lavilliers et Mano Solo, dont Balbino partage la fougue poétique et les penchants jusqu’au-boutistes. Autant dire que Gitan de Paname est né sous une bonne étoile, même si sa lumière semble parfois provenir de ces réverbères où les filles de la nuit – dont il a gardé le souvenir attendri – font le pied de grue.

Que ceux qui en ont soupé des clichés manouches se rassurent: d’entrée de jeu, Balbino Medellin n’a pas peur de chanter haut et fort qu’il n’aime pas les Gypsy Kings, et ses chansons nous démontrent qu’il a infiniment plus à nous offrir, tant dans le regard que dans la voix.

Le cas Kad

Au départ, cela semble plutôt prometteur: Kad a la moustache, la gueule et la dégaine du voyou dandy (à une autre époque, on l’aurait qualifié d’Apache), du genre qui est capable de porter un veston de velours mauve comme vous et moi portons un T-shirt.

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Côté répertoire, les reprises de Cole Porter (I Love Paris, bien sûr), Baden Powell via Claude Nougaro (Bidonville), Boris Vian (Le déserteur revu et corrigé post-moderne) et, pourquoi pas, un peu de Nirvana (Come As You Are) suggèrent un certain éclectisme raffiné.

Enfin, en tant que multi-instrumentiste qui assure aussi la réalisation de son album, Kad Achouri s’inscrit dans la tradition des Wonder, McCartney, bref, de musiciens qui ont non seulement une vision, mais aussi les moyens de la concrétiser. Et il faut reconnaître que sur le plan des climats, du travail sur la pâte sonore, Société (Beleza/SRI) foisonne de ces petits détails qui donnent du relief à ses canevas bossa-jazz-trip hop-flamenco.

Alors, quel est l’ennui? Eh bien, c’est justement qu’on a tôt fait de s’ennuyer dans l’univers de cet artiste de souche algérienne. Pour ma part, je jetterais la faute sur une tare typiquement française: l’absence de voix. Difficile de composer des mélodies ou de rendre justice à celles des autres quand on a un registre d’une demi-octave, à tout casser. En toile de fond, Société se laisse écouter sans peine, mais pourquoi s’y attarder outre mesure quand le monde est plein de gens qui ont non seulement du bagage, mais aussi du coffre…

Paris, encore et toujours…

Tout le monde s’entend pour dire que l’étiquette Putumayo lance beaucoup trop de disques, cherchant n’importe quel prétexte thématique à ses compilations au graphisme inspiré de l’art naïf, qui sont destinées aux boutiques où l’on achète son café équitable et ses masques africains. Chez eux, tout prémisse semble bon à prendre: musiques de femmes, reggae pour les gamins, lounge exotique, liens réels ou imaginés entre les pays producteurs de thé ou de chocolat.

Du coup, Putumayo a contribué à élargir notre définition de la musique dite du monde, qui englobe désormais ces artistes auxquels on a collé l’étiquette de «nouvelle scène française», une nébuleuse catégorie qui englobe, parmi les plus connus, Thomas Fersen, Tryo, Paris Combo, Carla Bruni ou encore Keren Ann, auxquels viennent se greffer quelques drôles d’oiseaux comme Amélie-les-Crayons ou l’étrange duo Presque Oui.

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Mais qu’est-ce que tout ce beau monde a en commun, sinon d’habiter l’Hexagone et de chanter en français? Disons qu’il serait plus simple de les cerner en termes de ce qu’ils ne sont pas – hip hop, folk ou rock – et de ce qu’ils évitent, c’est-à-dire les grosses voix, le volume et les chansons coup-de-poing.

Chacun à sa façon, les représentants de cette nouvelle scène revendiquent un héritage plus tendre, celui de Trénet ou de Mireille, ce qui se traduit par un recours à l’accordéon et à la trompette en sourdine, certes, mais aussi par une prédilection pour les chansons nées de sujets anodins ou de points de vue obliques, et qui privilégient l’humour ou la mélancolie, selon les exigences du moment.

En ce sens, les artistes qui convergent sur Paris sont à la chanson ce que Le fabuleux destin d’Amélie Poulain est au cinéma. Ce qui, en principe, devrait suffire à notre bonheur…

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