Brouillet brouille les pistes d’un roman-brouet

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 04/09/2007 par Paul-François Sylvestre

Chrystine Brouillet renoue avec le polar en publiant Zone grise qui met de nouveau en scène l’inspecteur Frédéric Fontaine, protagoniste du roman Rouge secret (2005). Lecteurs et lectrices ont droit à un roman policier on ne peut plus déroutant.

La romancière porte une attention toute particulière au travail du policier enquêteur, qui sert ici de révélateur de la nature humaine, toujours étonnante, toujours insondable.

Le roman s’ouvre sur un autre enlèvement étrange à Montréal, en 1982. Nouveau kidnapping, personne relâchée quelques heures plus tard, inconsciente mais indemne, sauf pour quelques entailles au cou. Pas de rançon demandée, seulement un tas de chaussures laissées près de la victime…

Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à commettre de tels méfaits, à la fois criminels et innocents? Dans cette deuxième enquête de Frédéric Fontaine, Chrystine Brouillet se fait encore une fois fine psychologue pour passer au crible la conscience de ses personnages. Et ils sont nombreux, répartis sur deux continents, sur un espace de quarante ans.

Zone grise est un roman déroutant au début parce que la romancière nous fait longuement ballotter entre Paris et Montréal, entre 1938 et 1980, entre 1942 et 1982. Les personnages mettent beaucoup de temps à se rendre à la croisée des chemins.

Publicité

Une fois que les lecteurs ont établi le ou les liens entre ces personnages, ils restent encore plongés dans une zone grise (ou un bouillon) qui n’en finit plus de s’éclaircir (un bon 400 pages). Ce roman n’en reste pas moins un délicieux brouet.

Les lecteurs seront heureux de retrouver Frédéric Fontaine, un inspecteur qui a «vu trop de choses dans la vie pour croire aux hommes». Sans le savoir, Fontaine est appelé à enquêter sur une affaire qui va le conduire dans l’univers des arts. Il sera comme toujours confronté à de lourds secrets et mensonges.

Un des personnages qu’il croise et à Paris et à Montréal est un artiste vivant avec toute une panoplie de mensonges qui l’ont poussé à édifier une supercherie sur le point de l’étrangler lentement mais sûrement.

Cet artiste est Dan Diamond (ou Daniel Diamant) qui jouit d’une renommée mondiale. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir ses secrets. L’inspecteur Fontaine croit d’ailleurs que «les artistes conservent toujours un jardin secret [qui] nourrit leur œuvre.»

La romancière fait dire à un autre personnage que «personne n’est entièrement transparent. Se mettre complètement à nu est trop menaçant. Nous taisons certaines pensées pour nous protéger…» Sauf que Dan Diamond tait plus que des pensées, plutôt des gestes qui le hantent depuis quarante ans. On est en présence d’un terrible plagiat, d’une incroyable usurpation d’identité.

Publicité

Artiste usurpateur. Kidnappeur vengeur. Quel est le lien? Chrystine Brouillet porte bien son nom puisqu’elle «brouille» allègrement les pistes de son polar. Nombreux, les rapts «ont en commun de n’avoir rien en commun». Et la romancière se plaît à nous décrire des intentions qui ne peuvent que naître dans l’esprit d’un criminel (ou de son auteure).

Elle note que pour ce criminel «ce n’était pas une mauvaise chose qu’il se familiarise avec la mort, avec la sensation qu’on éprouve en transportant un cadavre. Il serait plus calme quand il assassinerait son père.»

Loin de moi l’idée de vous dévoiler le dénouement de cette intrigue déroutante. À vous de découvrir tous les ingrédients du brouet que nous sert Chrystine Brouillet.

Je m’en voudrais, cependant, de ne pas signaler que la romancière fait preuve d’une profonde connaissance de l’art, qui se transpose même dans les goûts de son meurtrier. Ce dernier préfère «les œuvres de Rita Letendre, ses fuites rectilignes, bien droites, sans mièvrerie.»

L’auteure se sert aussi de l’art pour décrire une simple scène automnale: «Un soleil étonnamment chaud ressuscitait en les enflammant les feuilles mortes qui jonchaient les rues, et ces étincelles qui se multipliaient rappelèrent à Frédéric Fontaine les tableaux de Klimt. »

Publicité

Il faut dire que la romancière se sert régulièrement de la nature – soleil, vent, neige – pour entamer un nouveau chapitre. Sept des dix-sept chapitres commencent par une phrase qui prend l’allure d’un bulletin de météo, dont voici quelques exemples: «Le vent soufflait si fort qu’il emporta le toit…, La neige tombait beaucoup trop doucement…, Le mercure avait chuté durant la nuit…»

Roman complexe aux pistes souvent brouillées, Zone grise n’est pas un roman brouillon, loin de là. Son architecture demeure solide et son écriture finement ciselée procure de nombreuses heures de lecture fascinante. J’aurais néanmoins préféré un texte plus resserré, plus élagué.

Chrystine Brouillet, Zone grise, roman, Montréal, Éditions du Boréal, coll. «Polar», 2007, 416 pages, 27,50 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur