Briser les solitudes

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Publié 04/03/2008 par Paul-François Sylvestre

La romancière québécoise Germaine Guèvremont (1893-1968) et le journaliste torontois William Arthur Deacon (1890-1977) ont échangé dix-neuf lettres que Mariel O’Neill-Karch a sorties de l’oubli pour les présenter et les analyser dans un ouvrage intitulé En dépit des frontières linguistiques. Il s’agit d’une brillante illustration, avant la lettre, de la devise «Briser les solitudes», adoptée par la gouverneure générale Michaëlle Jean.

La correspondance se fait en anglais et c’est Pierre Karch qui a traduit les lettres «avec sa rigueur et sa générosité habituelles».

Mariel O’Neill-Karch explique que Germaine Guèvremont a appris l’anglais lors de son séjour au pensionnat torontois Loretto Abbey, en 1908-1909 (elle suivait des cours de piano). Par un heureux hasard, ce pensionnat se dressait, à l’époque, au 403 de la rue Wellington, emplacement actuel du Globe and Mail, employeur de William A. Deacon.

Les lettres sont échangées entre 1946 et 1956. Le tiers d’entre elles porte sur The Outlander, version anglaise du Survenant et de Marie-Didace, traités comme un roman en deux parties. En avril 1951, cette traduction remporte le Prix du Gouverneur général pour la meilleure œuvre de fiction parue en 1950. «Guèvremont fut dès lors admise dans les cercles littéraires torontois, jusque-là assez jalousement fermés aux écrivains francophones. Elle en devint même la coqueluche», écrit Yvan G. Lepage dans sa préface.

Les lettres échangées par Guèvremont et Deacon servent surtout à montrer comment le journaliste torontois a essayé (et réussi avec l’aide de la romancière) à ouvrir l’esprit de ses compatriotes et à leur faire apprécier la littérature canadienne-française «pour laquelle ils n’avaient jusqu’alors éprouvé qu’indifférence et dédain».

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Selon O’Neill-Karch, William Arthur Deacon est le premier journaliste canadien à s’être consacré à temps plein à la littérature, de 1922 (année où il devient rédacteur littéraire de Saturday Night) jusqu’à 1960 (année de sa retraite du Globe and Mail). «Il croyait fermement en l’importance de l’écriture et de la littérature canadiennes dans les deux langues.»

Certains pourront penser que les jugements de Deacon souffrent parfois de naïveté car le nationalisme ne demeure pas toujours la meilleure base sur laquelle construire une littérature. Les dix-neuf lettres qu’il a échangées avec Guèvremont ont néanmoins le mérite de mettre en valeur les liens qui ont pu se tisser entre écrivains de différentes régions et de différentes cultures à une époque où se dressaient ostensiblement Two Solitudes.

Germaine Guèvremont et William Arthur Deacon ont établi des ponts et ont montré que la littérature peut se déjouer des frontières. Guèvremont n’était pas le seul auteur québécois à parler les deux langues, mais aucun ne semble avoir manifesté la même ouverture à l’autre. Pas étonnant qu’elle ait créé à son image ce personnage à la fois mythique et éminemment moderne qu’est le Survenant.

Mariel O’Neill-Karch, En dépit des frontières linguistiques: correspondance littéraire entre Germaine Guèvremont et William Arthur Deacon (1946-1956), préface d’Yvan G. Lepage, Éditions David, coll. Voix retrouvées 9, Ottawa, 2007, 210 pages, 25 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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