Le nom «Monsanto» a beau attirer l’attention du public en raison de son association aux OGM, cette fusion n’est ni plus ni moins importante que deux autres, également survenues cette année.
D’autres fusions
La fusion entre DuPont et Dow Chemical en décembre 2015, puis l’achat de Syngenta par China National Chemical Corp en février 2016, méritent tout autant d’attention quant à l’avenir de l’alimentation.
Le marché mondial de l’agriculture, ou plus exactement celui de l’agrochimie, déjà dominé par six multinationales, pourrait donc se réduire à trois si la bouchée prise par Bayer est acceptée par les gouvernements, de même que la fusion Dow-DuPont, elle aussi en attente d’approbation aux États-Unis et au Japon.
Les consommateurs, les décideurs politiques et les agriculteurs auront bien d’autres préoccupations que les OGM: si ces fusions sont acceptées, Bayer-Monsanto vendrait à elle seule 29% des semences de la planète et 24% des pesticides. Les trois nouveaux géants totaliseraient 59% des semences brevetées et 64% des pesticides.
À moindre échelle, la fusion au Canada des compagnies Potash et Agrium, annoncée la semaine dernière, créera un géant régional des engrais.
L’innovation technologique
Une telle domination aurait des conséquences sur le marché, mais pourrait aussi en avoir sur la recherche scientifique. Comme l’écrit la firme «d’analyse stratégique» Stratfor, les incitatifs à de l’innovation technologique sont moins forts quand la concurrence s’estompe.
Certains s’inquiètent de la possibilité que ces nouvelles compagnies fusionnées se concentrent davantage sur leurs cultures les plus rentables plutôt que de développer des marchés plus petits et moins desservis comme l’Afrique.
D’un autre côté, la recherche de pointe, dans les universités ou dans de petites compagnies, ne s’arrêtera pas du jour au lendemain et les mêmes analystes conseillent de garder un œil sur la technologie CRISPR de manipulation génétique: c’est l’exemple d’innovation qui, si les ambitions de ses promoteurs se réalisent, possède le potentiel d’améliorer la performance agricole — soit exactement ce que ces compagnies recherchent.
Le prix des aliments
Si un petit nombre de firmes peut contrôler une aussi grande portion du marché, il va de soi qu’elles possèdent la capacité de hausser les prix des semences qu’elles vendent aux fermiers. Aux États-Unis, le puissant Syndical national des fermiers s’est opposé à l’entente Bayer-Monsanto, comme il s’était élevé contre deux autres fusions.
À l’inverse, le ralentissement économique en Chine, la stagnation du prix des aliments aux États-Unis, la baisse du prix des équipements agricoles, sont des facteurs qui expliquent cette poussée des multinationales à vouloir fusionner: elles veulent maintenir leurs marges de profits.
C’est le cas par exemple de Bayer qui, bien que surtout connue en tant que compagnie pharmaceutique, est aussi un géant de l’agriculture. Les milieux financiers ont noté qu’elle avait précédemment tenté d’acquérir d’autres concurrents.
C’est aussi le cas de Monsanto, dont le produit vedette, l’herbicide glyphosate (appelé «Roundup») fait face au même problème que les antibiotiques: trop utilisé aux États-Unis, il a favorisé l’émergence de lignée de plants résistants au Roundup.
La compagnie aurait investi un milliard de dollars jusqu’à aujourd’hui pour développer une alternative, le dicamba, mais une fusion l’aiderait, espère-t-elle, à maintenir entre-temps sa place sur le marché.
Le nom Monsanto
Bayer conservera-t-elle le nom Monsanto si la fusion est acceptée?
L’opposition aux OGM s’est tellement concentrée sur Monsanto qu’elle aura du mal à retrouver une cible aussi facile.
C’était peut-être une erreur de la part de ses opposants: la réalité des OGM est beaucoup moins simpliste que la perception qui a pu s’en dégager, mais la disparition du nom «Monsanto» du paysage pourrait recentrer le débat sur les vrais enjeux.