Les enjeux du monde arabe

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Publié 08/03/2011 par Nirou Eftekhari

Les bouleversements qui ont secoué le monde arabe depuis le mois de janvier ouvrent une période d’incertitude, non seulement pour les pays qui ont vu leurs régimes politiques s’effondrer ou sérieusement ébranlés par la guerre civile et des conflits d’une envergure insoupçonnée, mais également pour l’ordre mondial ou plus précisément l’ordre occidental dans cette région avec des conséquences encore imprévisibles.

Les mécontentements et contestations populaires se sont dirigés jusqu’à présent contre l’État qui, dans les pays arabes, du Yémen au Maroc, n’a jamais été l’expression de la volonté libre de leurs populations.

Si de façon générale, l’absence de démocratie dans les pays en développement, c’est-à-dire la rupture entre la société civile et la société politique, a historiquement produit des États impopulaires, répressifs et hostiles à la population qui s’appuient sur l’aide et le soutien étrangers, ce divorce entre l’État et la nation est poussé à son extrême dans le monde arabe en raison de la gravité des enjeux économique et géopolitique propres à cette région.

Le pétrole

Le pétrole et la nécessité de l’approvisionnement énergétique des pays consommateurs constituent sans doute le premier facteur qui a façonné l’émergence et l’évolution des États modernes dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord depuis près d’un siècle.

Il est, par exemple, impossible de comprendre la constitution des riches monarchies pétrolières faiblement peuplées dans le golf Persique en appareils d’État souverains et indépendants sans parler de leurs ententes ouvertes ou tacites avec les firmes pétrolières géantes et les puissances occidentales, d’abord l’Angleterre et surtout les États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.

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Les frontières mêmes de plusieurs de ces pays ont été tracées par des firmes et pays étrangers en fonction de la sécurité de leur approvisionnement pétrolier.

La division artificielle de cette région en entités politiques indépendantes explique les inégalités régionales frappantes que l’on y rencontre aujourd’hui: tandis qu’une grande majorité de Yéménites et d’Égyptiens vivent avec moins de deux dollars par jour, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Qatar figurent parmi les pays les plus riches de la planète.

Force est de constater que le pétrole arabe n’a pas profité aux masses arabes. En mettant une rente colossale à la disposition d’une minorité dont les intérêts se confondent très souvent avec ceux de l’État, le pétrole a par contre aggravé le caractère de sous-développement de plusieurs économies qui se manifestent par des phénomènes tels que le chômage, la forte dépendance vis-à-vis des importations, notamment des denrées alimentaires dont le prix a fortement augmenté, l’écart grandissant entre les riches et les pauvres, la corruption généralisée, l’absence d’avenir pour les jeunes, etc.

Israël

La formation de l’État juif en 1948 et la nécessité d’assurer la sécurité d’Israël constituent le second enjeu important qui a hypothéqué l’avenir des pays arabes.

L’état de guerre permanent avec Israël et l’évocation du drame du peuple palestinien ont pendant longtemps permis aux États arabes, en mal de légitimité, de renforcer leur ancrage au pouvoir et de justifier la politique de répression à l’encontre de leurs propres populations. Il en a, par exemple, été ainsi des régimes baathistes en Irak et en Syrie ou de celui de Khadafi en Lybie. Ils ont tous joué la carte de nationalisme arabe pour légitimer leur pouvoir qui s’est souvent concentré dans les mains d’un monarque, d’un tyran, d’une famille, d’une tribu, etc.

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Stabilité ou démocratie?

C’est ce double enjeu, pétrolier et géopolitique, qui a marqué le type de relations établies par l’Occident avec les États arabes qui lui ont servi comme leviers de contrôle de cette région sensible et stratégique.

Les États arabes qui se sont soumis à la logique de ce contrôle ont bénéficié de la largesse financière et de l’aide militaire de l’Occident, comme l’Égypte depuis 1979 à la suite du traité de paix avec Israël, ou de son silence et son indifférence quand de graves violations des droits de l’homme ont été commises. Au total, l’Occident a depuis toujours préféré la stabilité et le statu quo à la démocratie dans cette partie du monde.

Le grand mouvement social et politique qui s’est exprimé en faveur de la démocratie dans les pays arabes, et que tout porte à croire qu’il s’agit d’une tendance irréversible, ne manquera pas de se répercuter sur les enjeux qui ont historiquement influencé le devenir de ces pays.

On peut s’interroger, par exemple, sur les retombées de la démocratisation de la vie publique sur la gestion des ressources et revenus pétroliers par les États qui ne seront plus aussi inconditionnellement inféodés aux intérêts étrangers.

Les ressources d’hydrocarbures de cette région jouent comme par le passé un rôle déterminant dans les équilibres économique et politique mondiaux. Un rôle qui a été renforcé par la soif de consommation des économies émergentes.

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Ces dernières semaines, nous avons été témoins de l’impact de la crise politique en Libye sur le prix du baril, bien que les exportations libyennes ne comptent que pour moins de 2% de la consommation mondiale de pétrole.

Les intégristes

De même, on peut se demander dans quelle mesure la disparition et l’affaiblissement des régimes arabes dictatoriaux compromettront la sécurité d’Israël.

Si à la faveur du nouveau climat démocratique, les préoccupations et les sentiments de compassion des masses arabes pour le peuple palestinien doivent se refléter désormais dans le discours et l’action de leurs gouvernements, il serait difficile pour Israël et ses alliés occidentaux d’ignorer la tragédie des Palestiniens et les conditions inhumaines qui leur sont imposées en Gaza et Cisjordanie.

La porte est également ouverte aux groupes et partis intégristes de profiter du sentiment d’impuissance des Arabes pour mettre en place un despotisme religieux comme en Iran.

L’irruption de la société civile sur la scène politique dans les pays arabes constitue un changement important qui questionne la nature de l’État et ses relations avec l’étranger, la gestion des hydrocarbures, l’impasse israélo-palestinienne, etc. Le refus de comprendre ce changement historique en s’accrochant à ses réflexes passés peut ouvrir la boîte de pandore avec des conséquences fâcheuses.

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