Au carrefour des immortelles

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Publié 24/10/2006 par Dominique Denis

L’idée, en soi, n’a rien d’originale: question de marquer comme il se doit ses vingt ans de carrière, Luc de Larochellière voulait se faire un cadeau, celui d’inviter la crème des artistes québécois – et même un Français, Cabrel, en l’occurrence – le temps de reprendre en duo quelques-uns des refrains qui ont balisé son parcours et souvent le nôtre.

Mais Voix croisées (Victoire/Dep) est un cadeau qui reflète une rare générosité. Si tour à tour, Michel Rivard (Pour en finir avec la nuit), Daniel Boucher (sur un magistral Amère America), Laurence Jalbert (Si j’te disais reviens) et Pierre Flynn (Le mur du silence) donnent le meilleur d’eux-mêmes, c’est en partie parce qu’ils ont trouvé là des chansons qui leur collent à la peau, et dont chacun d’entre eux aurait pu assumer la paternité… ou la maternité.

Et dans le cas de Si fragile, bouleversant duo avec Gilles Vigneault, c’est la chanson elle-même qui s’en trouve agrandie, revêtant tout son sens par le biais de ce dialogue trans-générationnel qui met à profit la vulnérabilité de la voix de l’aîné. Et si Voix croisées n’atteint pas systématiquement ces sommets (la rencontre technoïde entre Luc et les gars de Motus 3F sur Monsieur D est une expérience aussi intrigante qu’agaçante), il est clair que chansons et interprètes sortent grandis de l’expérience, ce qui n’est pas toujours le cas de ce genre d’album.

On savait les chansons de Luc à la fois morales et rigoureuses. On les sait maintenant immortelles.

Un singulier saboteur

En évacuant – non, en dynamitant – tous les paramètres habituels de la chanson (mélodies, couplets, refrains et, pour l’essentiel, la notion même de structure narrative), Jean Leclerc réalise sur Mexico (Roi Ponpon/Dep) l’équivalent musical d’une pièce de Beckett ou de Ionesco, mettant en musique son propre théâtre de l’absurde.

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Résultat: un monde au cynisme souriant et à l’onirisme inquiétant, où notre narrateur narquois s’est créé une famille de fantômes et d’assassins dont on ne peut qu’espérer qu’ils ne sont pas toujours ses alter ego.

Pratiquant un funk minimaliste principalement ancré dans l’interaction de la guitare et de la batterie, Leclerc assume comme un grand presque toute l’instrumentation, dans la tradition des McCartney et Stevie Wonder. C’est d’ailleurs là le principal attrait de cet album, et même ceux qui sont réfractaires à la plume de notre homme pourraient difficilement nier l’attraction viscérale des grooves dont il est capable.

Dans cette quinzaine de tableaux qu’il serait impossible d’imaginer en-dehors des versions bricolées ici, certains scribes branchés s’entendent déjà pour voir une oeuvre capitale. Je n’irais pas jusqu’à crier à la supercherie, mais il convient de reconnaître que Leclerc est de loin le plus doué des saboteurs de la chanson. Reste à sa voir si sa grande oeuvre libératrice (tant des formes que de l’esprit) sera plus qu’un gag sans lendemain. Quant à moi, je parie que la postérité se souviendra plutôt du personnage et de ses pitreries que des anti-chansons de Mexico.

À chacun son cinoche

La magie des bandes-son tient à un savant alliage de musiques, d’images et d’histoires, lequel se cristallise idéalement dans la pénombre des cinémas, nous prédisposant à des émotions auxquelles il serait futile d’opposer la moindre résistance.

Et pourtant, certaines des plus mémorables trames sonores sont celles qui n’ont pas besoin de support visuel pour imposer leur propre cinéma ou, plus exactement, pour devenir – le temps d’un été, d’un amour, d’un voyage sur la 401 – la bande-son de ce film à petit budget qu’est notre vie (vous me direz, ce ne sont pas que les bandes-son qui ont ce pouvoir, mais celles-ci, compte tenu de leur parti pris souvent instrumental, se prêtent admirablement à ce genre de transposition).

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C’est ce que le compositeur Pierre Adenot a réalisé sur Paris je t’aime (Universal Special Import), par un savant alliage de mélancolie accordéonisante, d’emprunts rétro-kitsch et d’exotisme à l’image de cette ville-carrefour où les individus et les communautés se découvrent au hasard du quotidien.

Et avec La même histoire, la chanson thème (chanson t’aime?) interprétée tour à tour en français et en anglais par une Leslie Feist sous l’influence de Françoise Hardy, on tient là un classique en puissance.

Du coup, la musique de ce «film événement», dont chacun dit le plus grand bien, n’a plus besoin de son impérissable décor, de son improbable distribution (Gérard Depardieu, Juliette Binoche, Fanny Ardant, Bob Hoskins, Marianne Faithfull et j’en passe) pour nous ensorceler. C’est aussi cela, la magie du cinoche…

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