Au bonheur feutré de Keren Ann

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Publié 15/08/2007 par Dominique Denis

Au fil des albums – celui-ci est déjà son cinquième – Keren Ann s’est taillé une place de choix sur la scène dite «alternative» (terme vidé de son sens, mais qu’importe), en accordant autant de place au fond et à la forme de son art, c’est-à-dire à l’écriture et à l’enveloppe sonore de ses chansons.

Avec Keren Ann (Virgin/EMI), l’auteure-compositrice franco-américaine et son réalisateur Joe Barresi ont joué aux alchimistes, signant un album qui baigne dans un flou à la fois onirique et érotique, tout en faisant preuve d’un sens infaillible de la formule pop.

Une formule admirablement servie par une voix qui sait nous entraîner à l’intérieur des chansons plutôt que de projeter ses émotions avec une passion centrifuge. Mais si elle joue en virtuose de la vulnérabilité, Keren sait articuler une menace d’autant plus troublante qu’elle s’exprime sotto voce plutôt qu’à grands cris (It Ain’t No Crime).

Et comme culture musicale, on ne trouvera rien à redire: dans son univers, Leonard Cohen tutoie Ennio Morricone, Lee Hazelwood fréquente Joy Division, lorsque ce n’est pas Françoise Hardy qui lance un clin d’œil au Velvet Underground.

C’est d’ailleurs ce dernier alliage qui lui a permis à Keren d’accoucher de Lay Your Head Down, chanson parfaite que n’aurait pas reniée un jeune Lou Reed, et qui brode sa magie avec un minimum de moyens: quelques harmonies évanescentes, un solo de guitare doucement discordant et un harmonica mélancolique servent de cadre à cette invitation («Why don’t you lay your head down/In my arms, in my arms») qui se veut plus tendre que lascive.

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Un petit miracle de mélodisme subtil que Keren Ann reproduit à tous les registres sur cette galette qui, à l’instar du premier opus des Montréalais Patrick Watson, conjure à la perfection la langueur d’un été passé entre béton et bitume.

Les nations unies du jazz

À une époque où une poignée d’interprètes féminines – on pense à Madeleine Peyroux, Norah Jones et Diana Krall – tiennent le haut du pavé en explorant de séduisants hybrides jazz-pop-country-blues, Carol Welsman cherche elle aussi la formule qui fera tilt auprès du plus vaste public.

Avec Carol Welsman (Justin Time), la pianiste et interprète originaire de Toronto a choisi de jouer la carte d’une polyvalence polyglotte, alternant sans peine entre français, anglais, espagnol, portugais et italien.

Non seulement ce numéro de caméléon linguistique devrait-il lui ouvrir plusieurs marchés potentiels (notamment en Europe et en Amérique latine), mais il lui permet de tutoyer avec conviction le boléro afro-cubain (pensez Omara Portuondo ou Ibrahim Ferrer) ou la bossa nova, entre autres idiomes qui flirtent avec le jazz tout en assumant leur spécificité latine.

En effet, que ce soit chez l’inusable crooner français Henri Salvador (Dans mon île) ou même dans le répertoire de notre barde national Gordon Lightfoot (Beautiful, repris en V/O et dans une adaptation française), cet album éponyme décline en teintes feutrées sa palette latine par le biais d’arrangements uniformément soignés, qui mettent en valeur les multiples percussions de Jimmy Branly et le saxo feutré de Vern Dorge.

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Un constat s’impose toutefois, dans lequel certains pourront voir un avertissement: Carol ne cache jamais sa prédilection pour le smooth jazz qui demeure sa marque de commerce, surtout lorsque des nappes de synthés viennent nimber sa palette instrumentale, et elle ne semble guère encline à explorer le filon doux-amer (mi-plaisir, mi-douleur) où Billie Holiday, entre autres interprètes féminines, avait trouvé le point G du jazz.

Chez Welsman, le bonheur serein s’assume sans affectation, tout comme les multiples emprunts stylistiques et linguistiques, et l’exécution n’est jamais moins qu’impeccable. Carol Welsman atteint tous ses objectifs, mais il y en aura pour qui pareille absence d’aspérités n’est pas forcément une vertu.

Soul ennivrante

Certains y ont vu «le meilleur album que Motown n’a jamais réalisé», mais on aurait tort de conclure que Keep Reachin’ Up (Light In The Attic), de Karen Willis & The Soul Investigators, se contente de recréer la recette 60’s de la machine à succès de Détroit.

Par moments, l’exhubérance «Northern Soul» de ce premier opus rappelle le meilleur Jackie Wilson; ailleurs, on renoue avec l’atmosphère planante qui émanait des vieux albums de Gil Scott-Heron (flûte traversière à l’appui), mais le plus souvent, ce qu’on y découvre reflète une affinité pour les confections raffinées d’un Curtis Mayfield, période Superfly (on n’est d’ailleurs pas surpris d’apprendre que Willis avait enregistré avec Mayfield avant de se lancer dans l’aventure solo).

Mais si le regretté auteur-compositeur chicagolais tenait un discours simultanément politique et spirituel, Willis se contente, pour l’essentiel, de chanter les plaisirs et chagrins d’amour à la première personne du singulier, ne reculant devant aucun cliché («You’re gonna be my baby/You know I don’t mean maybe») pour recréer l’esprit parfois naïf d’une époque révolue.

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Cela dit, les vrais puristes répliqueront que la soul (comme le country) est d’abord et avant tout l’art de l’interprète, et que ce qu’on y dit importe nettement moins que la façon dont on le dit. Et à ce chapitre, Willis reprend honorablement le flambeau d’Aretha Franklin ou Mavis Staples, malgré quelques maniérismes agaçants, comme cette chanson titre qui révèle qu’elle n’a pas le registre vocal pour s’attaquer de manière convaincante au funk.

En fait, la plus belle surprise de cet album à facture traditionnelle (un tambourin, des vrais violons, un vrai orgue, etc.) est sans doute la découverte des Soul Investigators, une poignée de puristes du feeling que Willis est allée dégoter… en Finlande, ce qui ne devrait pas étonner, quand on sait l’affinité scandinave pour les idiomes afro-américains, jazz et blues en tête.

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