Au fil des albums – celui-ci est déjà son cinquième – Keren Ann s’est taillé une place de choix sur la scène dite «alternative» (terme vidé de son sens, mais qu’importe), en accordant autant de place au fond et à la forme de son art, c’est-à-dire à l’écriture et à l’enveloppe sonore de ses chansons.
Avec Keren Ann (Virgin/EMI), l’auteure-compositrice franco-américaine et son réalisateur Joe Barresi ont joué aux alchimistes, signant un album qui baigne dans un flou à la fois onirique et érotique, tout en faisant preuve d’un sens infaillible de la formule pop.
Une formule admirablement servie par une voix qui sait nous entraîner à l’intérieur des chansons plutôt que de projeter ses émotions avec une passion centrifuge. Mais si elle joue en virtuose de la vulnérabilité, Keren sait articuler une menace d’autant plus troublante qu’elle s’exprime sotto voce plutôt qu’à grands cris (It Ain’t No Crime).
Et comme culture musicale, on ne trouvera rien à redire: dans son univers, Leonard Cohen tutoie Ennio Morricone, Lee Hazelwood fréquente Joy Division, lorsque ce n’est pas Françoise Hardy qui lance un clin d’œil au Velvet Underground.
C’est d’ailleurs ce dernier alliage qui lui a permis à Keren d’accoucher de Lay Your Head Down, chanson parfaite que n’aurait pas reniée un jeune Lou Reed, et qui brode sa magie avec un minimum de moyens: quelques harmonies évanescentes, un solo de guitare doucement discordant et un harmonica mélancolique servent de cadre à cette invitation («Why don’t you lay your head down/In my arms, in my arms») qui se veut plus tendre que lascive.