Armes de poing: «Acheter avant qu’il ne soit trop tard»

De plus en plus d’armes de poing circulent au Canada, mais le nombre de citoyens qui en possèdent demeure relativement stable.
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Publié 11/08/2022 par Marine Ernoult

De plus en plus d’armes de poing circulent au Canada depuis les dix dernières années, mais le nombre de citoyens qui en possèdent demeure relativement stable.

Entre la volonté de stocker avant un gel des ventes, le marketing de l’industrie et la conviction que le port d’arme fait partie de l’identité nationale, les raisons qui expliquent la hausse sont multiples.

Les nouvelles armes dans les mêmes mains

En Atlantique, entre 2015 et 2020, le nombre d’armes à autorisation restreinte a bondi de 18,88 % à l’Île-du-Prince-Édouard, de 19,64 % au Nouveau-Brunswick, et de 25,01 % à Terre-Neuve-et-Labrador. En Nouvelle-Écosse, la hausse a atteint 31,30 %, le chiffre le plus élevé du pays. L’augmentation moyenne au Canada s’établit à 24,57 %.

Sur la même période, la proportion de personnes qui possèdent un permis de port d’armes (PPA) est restée plus ou moins constante: 11,25 % de la population majeure en Atlantique possédait un PPA en 2015, contre 11,19 % en 2020.

Une stabilité semblable à celle observée à l’échelle du pays. Autrement dit, les nouvelles armes en circulation se concentrent entre les mêmes mains.

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Armes de poing, Arme à feu
Les armes à autorisation restreinte circulent toujours plus. Graphique: Marine Ernoult, Francopresse. Source: GRC

Le Canada, un marché en expansion

«Ce n’est pas un phénomène nouveau. Depuis 2012 déjà, le nombre de ventes de pistolets et de révolvers a augmenté en flèche. C’est vrai en Atlantique, mais aussi dans le reste du pays», estime Francis Langlois, professeur d’histoire au Cégep de Trois-Rivières et membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal.

«Le Canada est un marché en pleine expansion pour l’industrie de l’armement», indique Blake Brown, professeur d’histoire à l’Université Sainte-Marie d’Halifax et auteur de Arming and Disarming: A History of Gun Control in Canada.

La règlementation qui encadre l’acquisition d’armes à autorisation restreinte est pourtant stricte. Un permis ne suffit pas pour s’en procurer une.

L’acheteur doit d’abord se soumettre à un contrôle de son dossier criminel et psychiatrique par les autorités. Il doit également enregistrer l’arme auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alors que les carabines et fusils de chasse sont en vente libre, et ne sont pas répertoriés dans les registres d’état.

Armes de poing, Arme à feu
Au Canada, trois catégories d’armes à feu. Tableau: Marine Ernoult, Francopresse. Source: GRC

Les Libéraux, un déclencheur

«À sa création, le système se voulait dissuasif, long, onéreux et compliqué, pour que ce type d’armes reste rare. Mais finalement, une fois qu’ils ont leur permis, les propriétaires sont prêts à dépenser plus de temps et d’argent pour en avoir», commente Blake Brown.

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Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement d’une partie de la population pour les pistolets et révolvers.

«Quand les Libéraux sont arrivés au pouvoir en 2015, les gens armés ont commencé à en acheter plus par crainte que les lois changent et que ces armes finissent par être complètement interdites», avance Irvin Waller, professeur émérite en criminologie à l’Université d’Ottawa.

Francis Langlois remarque aussi un changement dans la culture canadienne. «Le discours de l’industrie, “armez-vous pour vous protéger”, s’est ancré dans l’inconscient collectif.»

«Au début de la pandémie, il y a eu une ruée vers les détaillants d’armes à feu partout au pays. Si les gens n’ont pas pu en acheter, c’est parce que notre législation est assez stricte.»

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Irvin Waller est professeur émérite en criminologie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur du livre Science and Secrets of Ending Violent Crime. Photo: Courtoisie

Législation renforcée

En sept ans au pouvoir, le gouvernement libéral a effectivement renforcé la législation.

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En 2020, à la suite de la tuerie de Portapique en Nouvelle-Écosse, Ottawa a décrété l’interdiction de 1500 modèles de fusils d’assaut de type militaire.

Deux ans plus tard, en mai dernier, le premier ministre a accéléré la cadence avec l’annonce d’un gel national des armes de poing dans le cadre du projet de loi C-21. Le texte devrait être adopté dès la session d’automne de la Chambre des communes et du Sénat.

Plus encore, le gouvernement fédéral a annoncé le vendredi 5 août une «interdiction temporaire» de l’importation des armes de poing. S’appliquant aux particuliers et aux entreprises, elle entrera en vigueur dès le 19 août, et ce, «jusqu’à l’entrée en vigueur du gel national», est-il précisé dans un communiqué.

Le groupe PolySeSouvient, qui représente des survivants et des familles de victimes de violence armée, a salué par communiqué une «mesure importante et novatrice qui ralentira incontestablement l’expansion du marché canadien des armes de poing en attendant l’adoption du projet de loi C-21».

Armes de poing, Arme à feu
Les titulaires de permis de possession et d’acquisition (PPA) possèdent plus d’armes à autorisation restreinte. Graphique: Marine Ernoult, Francopresse. Source: GRC

Frustrations

De leur côté, les propriétaires d’armes à feu déplorent cette mesure qu’ils considèrent précipitée.

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«C’est très frustrant, on se sent continuellement pris à partie… Alors sur les réseaux sociaux, dans les discussions informelles, on incite nos membres et nos connaissances à acheter des armes tant qu’il est encore temps», réagit Kate MacQuarrie, fondatrice du groupe Women Shooters of PEI, qui forme des femmes au maniement et au tir.

«En s’attaquant aux propriétaires d’armes légales, le gouvernement fédéral les encourage à se précipiter et à acheter tout ce qu’ils peuvent avant qu’il ne soit trop tard», renchérit Tracey Wilson, vice-présidente des relations publiques de la Coalition canadienne pour les droits des armes à feu (CCFR).

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Kate MacQuarriel, fondatrice du groupe Women Shooters of PEI. Photo: Marine Ernoult, Francopresse

Les armes à feu, «objets identitaires»

À ces facteurs conjoncturels s’ajoutent des causes plus profondes liées au marketing mené par l’industrie depuis le début des années 2000.

«Les armuriers ont créé des besoins en développant constamment de nouveaux modèles avec des styles, des calibres, des types de munitions différents. Ils tiennent les consommateurs en haleine», explique Blake Brown.

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Blake Brown.

Un avis partagé par Francis Langlois: «Les armes à feu se sont banalisées, elles sont devenues des objets de consommation comme les autres dont les fabricants font la promotion à travers le cinéma, les jeux vidéos, les réseaux sociaux, en s’associant avec des influenceurs sur YouTube.»

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Aux yeux des deux chercheurs, la tradition de chasse dans les régions rurales du Canada atlantique n’alimente pas la hausse notable du nombre d’armes de poing. «Les chasseurs ont un fusil et ça leur suffit, ils n’en accumulent pas pour le plaisir, ils voient ça comme un outil pratique. Il n’y a pas cette obsession du modèle le plus performant», affirme Blake Brown.

«Ceux qui en accumulent sont avant tout des hommes en milieu rural, pour qui ce sont des objets identitaires, associés au patriotisme, voire carrément à la lutte contre l’ennemi», complète Francis Langlois.

Il évoque à cet égard les soldats canadiens qui ont participé aux guerres en Irak ou en Afghanistan. «L’armée a beaucoup recruté dans certaines communautés rurales, notamment en Nouvelle-Écosse, où les opportunités économiques étaient par ailleurs assez limitées», révèle-t-il.

«Quand ces jeunes reviennent de zones de guerre, ils ont une culture militaire, connaissent le maniement des armes et veulent continuer à pratiquer».

Ces détenteurs de pistolets et de revolvers seraient-ils prêts à s’en séparer dans le cadre d’un éventuel programme de rachat? Francis Langlois ne le croit pas : «Ce n’est pas une question d’argent, c’est un objet de pouvoir qui définit leur statut social.»

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Francis Langlois est professeur d’histoire au Cégep de Trois-Rivières et membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal. Photo: site Web UQÀM

Armes de poing en ville

Selon Statistique Canada, les taux de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu sont plus élevés dans les régions rurales que dans les régions urbaines.

En 2020, 63 % des crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu dans les régions urbaines mettaient en cause une arme de poing. Dans les régions rurales, les crimes violents ont été perpétrés le plus souvent à l’aide d’une carabine ou d’un fusil de chasse.

Toujours en 2020, Statistique Canada a dénombré 5955 auteurs présumés d’affaires de crimes violents avec l’implication d’une arme à feu. Près de 87 % étaient des hommes.

Les homicides commis à l’aide d’une arme à feu ont par ailleurs augmenté de 37 % au cours des onze dernières années et les armes de poing étaient les armes les plus couramment utilisées.

En Ontario

De 2019 à 2020, une hausse notable des taux de crimes violents commis à l’aide d’une arme à feu a été enregistrée dans la partie rurale du nord de l’Ontario (+32 %), d’après Statistique Canada. Le taux de crimes commis à l’aide d’une arme à feu dans les régions rurales de la province y est cependant plus faible que dans les régions urbaines.

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En ce qui concerne les homicides, de nouvelles données divulguées par Statistique Canada le 2 aout dernier montrent que leur nombre est en hausse en Ontario (37 homicides en plus), après deux années de baisse.

Toronto est par ailleurs la région métropolitaine de recensement qui enregistre le plus grand nombre d’homicides en 2021 au pays (117), mais elle se classe au 16e rang si on rapporte ce chiffre à la population.

Armes de poing, Arme à feu
Plus d’armes face à plus de violence? Graphique: Marine Ernoult, Francopresse. Source: GRC

Aux États-Unis, des études montrent sans ambigüité que plus le nombre d’armes à feu en circulation est élevé, plus les violences commises par arme à feu augmentent. Les États ayant une proportion importante de leur population détentrice d’armes à feu connaissent des taux d’homicides supérieurs de 114 % à ceux ayant une population moins armée.

Une autre étude publiée en 2013 sur le lien entre la possession d’armes à feu et les homicides commis par arme à feu a établi une corrélation claire entre les deux: à chaque fois que la première augmente de 1 %, le taux des seconds augmente de 0,9%.

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