L’attention prêtée au moindre détail – de l’enveloppe sonore au graphisme exquis de la pochette cartonnée – ne ment pas: même si elle n’a que deux albums à son CV, Ariane Moffatt figure déjà au rang des artistes phares de la chanson québécoise. Certains verront même en elle la contrepartie francophone de Nelly Furtado, voire de Björk, en raison de ses audaces, certes, mais aussi de sa volonté d’assumer les dualités (ou les contradictions) entre l’intellect et l’affectif, comme en témoigne Le cœur dans la tête (Audiogram).
Et malgré sa petite voix translucide qui, la plupart du temps, n’essaie même pas de chanter, malgré son personnage de femme-enfant qui est parfois trop à l’écoute de ses états d’âme, Ariane (Ari, pour les fans) justifie l’adulation croissante dont elle fait l’objet. De toute évidence, la protégée de Daniel Bélanger a longuement mûri cet opus 2, sachant que le public et la critique l’attendaient au virage. Et c’est à son honneur d’avoir su rester fidèle aux attentes dudit public tout en laissant sa muse l’entraîner dans un numéro de corde raide, où elle maintient un équilibre entre les petits bonheurs de Montréal (sympathique reggae rétro) et des moments d’intense mise à nu émotionnelle qui évitent pourtant le genre d’étalage impudique de bobos auquel on associe Lynda Lemay. Ce qui, en soi, mérite notre reconnaissance.
Les flèches acérées de Karkwa
Loin, très loin des angoisses ouatées d’Ariane Moffatt, le quintette québécois Karkwa décline son mal de vivre à grands coups de décibels. Rarement un album a-t-il affiché si prestement ses couleurs que Les tremblements s’immobilisent (Audiogram). D’entrée de jeu, la voix, le piano soutenu (à la Lennon, période Plastic Ono Band), puis les guitares déchirées de La fuite créent un climat auquel, justement, il est impossible d’échapper. Comme un film qui ouvre sur un coup de fusil, on se trouve plongé dans le chaos de l’irréversible («Par un jour clair, bleu clair, trop éblouissant/Le président par terre baigne dans son sang/De qui, de quoi, le pourquoi se répand/Et c’est là que ça fucke/Faut que je parte au plus vite»)
Mais la tourmente cède peu à peu à une relative quiétude de moments quasi «floydiens», dont on ne sait pas toujours s’ils relèvent de la sérénité ou de l’engourdissement, mais qui ont pour mérite de nuancer le ton de cet album gravé dans des conditions de direct, même si cela se fait au prix de la sacro-sainte «qualité sonore». À la fois personnel et engagé (rares sont les artistes qui, en 2005, pourraient lancer sans ironie un truc comme «Je me sens près du coup d’état»), Karkwa fait écho à la saine révolte qui animait Rage Against The Machine, et qui servira toujours de carburant au rock and roll.