Absolutisme stressant

Doug Ford
Le nouveau premier ministre de l'Ontario, Doug Ford.
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Publié 01/08/2018 par François Bergeron

La politique fait vivre des émotions fortes à plusieurs de mes amis réels et virtuels: jouissance à l’élection de Trudeau en octobre 2015; effroi face à la victoire du Brexit en juin 2016; traumatisme à cause de Trump depuis novembre 2016; lueur d’espoir grâce à Macron en mai 2017…

Évidemment, ces personnes sont dégoûtées par la majorité de sièges remportée par les Conservateurs de Doug Ford en Ontario le 7 juin. Par la disparition de la «réconciliation» avec les Autochtones et du «changement climatique» dans le nom des ministères. Par la répudiation du nouveau curriculum d’éducation sexuelle. Par le Discours du Trône unilingue. Et maintenant par l’imposition d’une nouvelle carte électorale à Toronto à trois mois des élections municipales.

Restons calmes

J’ai d’autres amis plutôt satisfaits du changement en Ontario: il faut faire le ménage de temps en temps, reprendre le contrôle des finances publiques, abandonner certaines lubies coûteuses, respecter les contribuables, etc.

L’éducation sexuelle? Pas si pire. L’alarmisme pseudo-scientifique sur le climat? Bon débarras. L’absence de français? Erreur de débutants ou provocation juvénile: ça va revenir, les bonnes relations avec les Autochtones aussi. Le bordel à Toronto? C’était déjà dysfonctionnel…

Mais personne, dans ce lot, n’avait déchiré sa chemise quand Macron a été élu. Plusieurs étaient et restent rebutés par Trump, mais lui trouvent quelques avantages ou vont le tolérer pendant quatre ans, comme ils auraient toléré Clinton qui avait d’autres défauts. Le Brexit? Pas la fin du monde. Trudeau? Mieux vaut en rire…

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Pas de monopole de la vertu

Vous le savez ou vous le devinez: je fais partie du second groupe.

Autrement dit, je n’ai pas l’impression que le ciel nous tombe sur la tête ou, au contraire, qu’on a atteint le Nirvana, en fonction du résultat de chaque élection chez nous ou ailleurs.

Mais j’ai souvent l’impression d’être seul à estimer qu’aucun parti ou politicien n’a le monopole de la vertu ou du vice, de la vérité ou de l’erreur, et par-dessus tout que l’alternance a du bon même quand elle ne favorise pas mon option préférée.

L’alternance incite les perdants à être meilleurs la prochaine fois, ce qui devrait aussi servir d’avertissement aux gagnants.

Bons citoyens

De plus, ce n’est pas tout le monde qui fait la différence entre s’intéresser aux affaires publiques, en bons citoyens, et vouloir que de plus en plus d’activités relèvent de la sphère publique, étatique.

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Ceux qui estiment que l’un (la démocratie) ne va pas sans l’autre (le socialisme) tendent vers un absolutisme qui devient stressant pour eux quand la démocratie favorise un parti prônant un État minimaliste ou un candidat sceptique envers les compétences de la bureaucratie ou des élites traditionnelles à régler tous les problèmes.

Une de mes amies a dit s’être sentie «physiquement mal» à l’annonce de la victoire de Trump. L’avènement d’un gouvernement Ford en Ontario l’amène maintenant à se demander si ce n’est pas toute la démocratie qui est malade.

Si elle fait allusion à notre système électoral imparfait ou à la crise des médias à l’ère de la post-vérité, ça se défend. Si elle appelle au renversement de dirigeants élus qu’elle n’aime pas par une dictature «éclairée», c’est-à-dire proche de ses idées, c’est irrecevable.

Polarisation inutile

Quand le oui au Brexit avait gagné, un autre copain avait tweeté son effarement à l’idée qu’on «démantèle un État» et que des fonctionnaires ou des chercheurs universitaires risquent d’en être affectés.

Il s’entendrait à merveille avec un autre de mes proches, au Québec, qui a voté Trudeau même s’il est péquiste de longue date… mais pas séparatiste parce qu’il préfère deux gros gouvernements plutôt qu’un!

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Avant les élections ontariennes, une connaissance avait affiché un diagramme bleu et jaune intitulé «Les chances que je vote conservateur», montrant 90% de bleu pour «aucune»… et 10% de jaune pour «aucune, mais en jaune».

Ce genre d’absolutisme, approprié en opposition à un régime totalitaire (justement parce qu’il est absolutiste), n’est pas de mise dans nos démocraties.

Les gens qui prennent la politique trop au sérieux tendent à diaboliser ceux pour qui Ford, Trump ou le Brexit sont, au pire, des accidents de parcours divertissants, au mieux, des chocs salutaires. Ils ne réussissent qu’à polariser les citoyens, pas à les rapprocher.

Optimisme rationnel

Enfin, il me semble qu’il y a une forte corrélation entre les gens qui prennent la politique trop au sérieux et leur pessimisme face à l’avenir de notre société ou de la planète.

Comme, de leur point de vue, il y a péril en la demeure et donc urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard, chaque échec électoral représente un danger mortel. Encore une fois: c’est stressant pour eux.

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Or, ce pessimisme n’est pas rationnel. L’humanité connaît des hauts et des bas, et il faut toujours veiller au grain. Mais, d’une façon générale, de l’Antiquité à nos jours, nous progressons manifestement vers un monde plus libre, plus prospère, plus pacifique… Plus heureux? Là-dessus le jury délibère encore.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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