Le Théâtre français de Toronto (TfT) présente La Société de Métis de Normand Chaurette: une pièce chargée de symboles, servie par la mise en scène subtile et efficace de Joël Beddows.
On peut féliciter le TfT de la -variété de sa programmation. Après les divertissants vaudevilles du temps des fêtes, voici une pièce d’un grand auteur québécois contemporain qui fait appel à notre sensibilité et suscite notre réflexion. La Société de Métis commence sur un mode humoristique et fantaisiste mais se charge très vite des principales caractéristiques d’une pièce symboliste, notamment par son interrogation sur les rapports mystérieux de l’être et du paraître.
L’action de la pièce est originale. Des portraits relégués dans un coin obscur du musée de Rimouski se mettent à se parler entre eux et à revivre les circonstances de leur création, à Métis-sur-Mer, petite localité des bords du Saint-Laurent où une richissime extravagante règne sur tous les membres de la société. Sur tous sauf un, puisque le peintre, après avoir capté par son art l’image de ses modèles, refuse obstinément de livrer ses tableaux.
La pièce se caractérise par une profusion de thèmes qui s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement: le droit de ne pas être dépossédé de soi-même en laissant à quelqu’un d’autre son image; la volonté de puissance d’une femme qui croit pouvoir tout acheter mais qui, malgré son ego démesuré, est prête à tous les abandons pour obtenir ce qu’on lui refuse; la puissance de l’art, enfin qui, fixant définitivement un être vivant dans une pose, peut le limiter ou le faire passer définitivement au-delà de la mort.
Le dispositif scénique, dû au scénographe Jean Hazel, traduit bien le passage des deux plans qui structurent la pièce: celui du retour en arrière des personnages qui se réaniment et celui du regard actuel des personnages figés pour l’éternité. Par un effet de miroirs et de reflets, les gisants qui se mettent à parler d’outre-tombe offrent aux spectateurs leur image verticale et inversée. Ainsi, le mur transparent qui traverse la scène traduit le regard froid de ceux qui ont déjà tout perdu et une distance qui n’est pas seulement celle du souvenir mais celle qui sépare les défunts du monde des vivants.