À quelle hauteur un édifice devient-il irrespectueux ?

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Publié 21/02/2006 par Claude Bergeron

L’épineux sujet des édifices en hauteur suscite toujours l’intérêt des Torontois. Ils ont rempli la salle Jane Mallett mercredi dernier pour assister au débat parrainé conjointement par le St. Lawrence Centre Forum et la Toronto Society of Architects. L’ambiance cordiale et l’accord sur la plupart des aspects abordés étonnaient quand on sait que la construction de ces édifices dans le voisinage de quartiers résidentiels engendre tant d’acrimonie.

Plusieurs spécialistes se sont d’abord appliqués à rappeler que Toronto est depuis longtemps une ville d’édifices en hauteur. C’est Ted Tyndorf, l’urbaniste en chef de la ville, qui avait donné le ton. Si c’était pour faire valoir que les nouvelles constructions s’inscrivent dans le respect de la tradition, cette précaution n’était pas utile étant donné le consensus quasi-général qui prévalait ce soir-là.

C’était de plus une inexactitude. À part quelques édifices commerciaux du bas de la ville, Toronto ne comptait pas assez de gratte-ciel avant 1950 pour paraître dans les annales comme une ville d’édifices en hauteur. Si elle l’avait été, l’architecte Peter Dickinson, arrivant de Londres pour la première fois cette année-là et ayant marché depuis la gare Union jusqu’à la rue Bloor, n’aurait pas arrêté un passant pour s’informer s’il allait bientôt parvenir au centre-ville.

Tous s’entendaient aussi sur la nécessité de densifier l’occupation du sol, même Mimi Fullerton de l’Annex qui milite pour la préservation des quartiers résidentiels. Toronto ne peut plus s’offrir un service de transport qui dessert un territoire majoritairement composé de banlieues. Mais où densifier et comment?

Le nouveau plan officiel, comme l’a rappelé Ted Tyndorf, prévoit de grouper les édifices de haute taille dans cinq centres majeurs et les édifices de hauteur moyenne, le long de grandes artères.

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La pratique s’est déjà écartée de cette directive judicieuse. C’est parfois approprié de s’en écarter, comme au croisement des rues Bloor et Dundas West. Dans d’autres cas, c’est beaucoup plus discutable, comme dans la vieille ville de York.

Quant à la forme à donner aux édifices en hauteur, les optimistes croient avoir trouvé la solution idéale dans les tours fines qui projettent moins d’ombre. Mais si l’ombre est relativement peu large elle couvre un rayon d’autant plus étendu que la construction est plus haute, et quand ces tours deviennent nombreuses et rapprochées l’ombre qu’ensemble elles projettent n’est pas moins gênante que celle causée par des édifices plus longs.

Si, comme l’a souligné le con-seiller municipal Kyle Rae, la ville n’a pas les budgets nécessaires pour faire toute la recherche souhaitée sur la façon de densifier son territoire, on a appris que certaines initiatives sont tout de même sur le point de voir le jour. Comme en ont déjà d’autres villes, Toronto s’apprête à se doter d’un comité d’architecture et d’urbanisme pour conseiller architectes et promoteurs. Elle élabore aussi un document sur ce que l’urbaniste en chef aime appeler le comportement civique des édifices géants. S’il n’a pas fait l’objet d’une consultation publique, c’est que le plan officiel dont il est le complément n’a pas encore reçu l’approbation de l’Ontario Municipal Board. Ce n’est pas la première fois que l’OMB nuit au processus démocratique.

La manière de densifier le territoire d’une ville est fonction de la forme qu’on désire lui donner. Le public torontois semble préférer des édifices de hauteur moyenne. Selon Steve Diamond, l’avocat des promoteurs immobiliers, ceux-ci ne font que répondre à la demande. Pourquoi alors 81% des projets d’habitation depuis l’an 2000 sont pour des édifices de 13 étages et plus?

Les démarches incessantes des promoteurs pour faire amender le règlement de zonage et leurs visites tout aussi répétées auprès de l’OMB ne sont un mystère pour personne.

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L’échevin Kyle Rae, ardent défen-seur des édifices en hauteur, a plus ou moins révélé que ceux-ci entrent dans les visées de la ville. Parmi ses arguments, on est prêt à accepter qu’une certaine diversité soit souhaitable. Il est douteux cependant que des tours d’habitation contribuent à la revitalisation urbaine mieux que des édifices de hauteur modérée. Puisqu’il siège au comité du budget, il faut reconnaître cependant qu’il a raison d’affirmer que ces projets donnent un coup de main aux finances municipales.

En effet, ces immeubles toujours plus hauts sont une marchandise négociable que s’échangent promoteurs et autorités municipales, et non un instrument pour donner à la ville l’aspect que tous semblent souhaiter. Sinon, que veut dire le conseiller Rae quand il recommande que la ville exige tout ce qu’elle peut obtenir d’un promoteur avant qu’un projet soit soumis à l’OMB?

On ne s’étonne pas non plus d’entendre l’avocat des promoteurs souligner que seulement 10% des décisions prises par la ville sont annulées par l’OMB. Tony Coombes a résumé cette négociation: dans une zone où quatre étages sont autorisés, le promoteur propose un projet de 30 étages pour finalement accepter de le réduire à 28, ce qu’il souhaitait au départ.

Les perdants, ce sont les résidents pour qui, selon Mimi Fullerton, il est trop coûteux de se présenter devant l’OMB.

Quelle est la hauteur appropriée, ne cesse-t-on de se demander. Une dame distinguée qui habite un immeuble de 40 étages au pied de la rue Bay s’est plainte que l’on allait ériger une tour de 52 étages près du Air Canada Centre. Des plaintes semblables ont été récemment formulées à l’endroit de projets au centre de Mississauga.

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Quand seront construits les immeubles de 60 et même de plus de 80 étages annoncés pour Toronto, leurs occupants vont-ils à leur tour trouver à se plaindre de nouveaux projets qui les priveront de la vue du lac?

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