Le Prix littéraire des cinq continents cherche à mieux se définir

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Publié 10/10/2006 par Michel Dolbec (La Presse Canadienne)

Désormais bien installé, le Prix des cinq continents cherche, cinq ans après sa création par l’Organisation internationale de la Francophonie, à mieux se définir.

Ce prix, qui récompense une oeuvre en langue française, a été remis, à la veille du sommet francophone de Bucarest, à la romancière mauricienne Ananda Devi, pour son très beau roman Ève de ses décombres, publié chez Gallimard.

Si ce choix a fait l’objet d’une large unanimité, plusieurs voix se sont fait entendre au sein du jury pour réclamer une réforme du prix.

«Je pense que le prix n’exprime pas ce qu’il devrait être, a expliqué l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio. On vient ici en marge de la grande messe francophone, alors que le prix devait être l’instrument d’une rencontre entre ceux qui choisissent la langue française pour écrire.»

Avec 141 ouvrages en lice venus de 31 pays, le Prix des cinq continents jouit d’une visibilité croissante. Accompagné d’une bourse de 10 000 euros (15 000 $ environ) et d’une tournée de promotion du lauréat dans les différents salons francophones, il assure aussi à celui qui le remporte un vrai rayonnement.

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Alain Mabanckou, qui l’a remporté l’année dernière pour Verre cassé, peut en témoigner.

Des membres du jury (parmi lequel figurent aussi Andreï Makine, René de Obaldia ou la Québécoise Lise Bissonnette) réclament cependant des changements dans les règles qui président à la sélection des oeuvres et à l’attribution de la récompense.

Il est vrai que les critères de sélection actuels des romans sont confondants, comme le dit Lise Bissonnette, les livres devant être jugés à l’aune de la diversité culturelle, de la qualité littéraire et de l’émotion.

«L’exercice relève en soi de la diversité culturelle tandis que l’émotion ne se mesure pas, signale la présidente de la bibliothèque nationale du Québec. À mes yeux, la seule chose qui compte, c’est la qualité littéraire.»

Certains se demandent aussi à qui doit s’adresser le Prix des cinq continents, la notion même d’«écrivain francophone» étant toujours sujette à débat.

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Français né à Nice de parents mauriciens (son père était même anglophone), J-M. G. Le Clézio en est pourtant l’incarnation même. Il propose cette définition: «Est francophone celui qui se considère comme un écrivain francophone», dit-il.

«Cela exclut les Français, pour qui la question ne se pose pas. Le prix ne s’adresse pas à eux, mais à ceux qui s’interrogent sur leur rapport à la langue française.»

Cela voudrait dire qu’Amélie Nothomb, toute belge et bruxelloise qu’elle soit, n’est pas une romancière «francophone», contrairement, par exemple, à Gaétan Soucy ou à l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot, pour qui la littérature francophone en est une «de l’interrogation et de l’inquiétude».

Le Québécois Pierre Yergeau a eu droit à une mention spéciale (et à une bourse de 5000 euros) pour son roman La Cité des Vents. Il se voit lui-même comme un auteur «francophone».

«La littérature francophone est une littérature en marge qui s’étend dans tous les coins, explique-t-il. Je suis un écrivain francophone en ce sens que je me considère aussi comme un écrivain marginal, mineur, à la manière de ces réalisateurs qui n’appartiennent pas aux grands studios.»

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Certains, comme Andreï Makine, ont souhaité par ailleurs que le prix, remis cette année par le secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf, se démarque des «paillettes» du sommet, pour éviter qu’il ne soit, comme le dit Le Clézio, «instrumentalisé par le politique».

À Bucarest, des voix se sont également fait entendre dans le jury pour réclamer une plus grande diversité éditoriale. Lyonel Trouillot a demandé dans cet esprit qu’on fasse un effort afin que les petits éditeurs du Sud «trouvent leur place dans la sélection».

Ces interventions en faveur d’un «changement de direction» du Prix des cinq continents témoignent sans aucun doute de sa vitalité. À Bucarest, elles ont en tout cas donné lieu à des échanges qu’un témoin a qualifié de «vigoureux».

«Calmons-nous, a tempéré Lise Bissonnette. Ça prend plus de cinq ans pour installer un prix littéraire.»

Et d’ajouter: «Nous avons demandé à rencontrer les trois comités de lecture (français, québécois et sénégalais) pour dire comment on voit le prix, comment on veut juger les livres. Ce qu’il faut maintenant, c’est avoir une vraie discussion sur le fond.»

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