Les pourfendeurs de complots sont-ils tous paranos?

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Publié 24/05/2016 par Matthieu Fannière (Agence Science-Presse)

En Europe, des magazines parmi les plus sérieux affichent régulièrement des unes sensationnalistes qui promettent de révéler les secrets des francs-maçons et autres pouvoirs de l’ombre, alimentant toujours plus l’intérêt du public pour les théories du complot.

Loïc Nicolas, chercheur en langues et lettres à l’Université libre de Bruxelles, dénonce cette attitude ambiguë des médias à l’endroit des théories du complot et va même jusqu’à parler de «complaisance perverse envers l’intérêt du public pour ces théories».

Or, si ces dernières peuvent s’avérer séduisantes pour un certain public, c’est parce qu’elles ont réponse à tout et «confortent l’égo de leurs adeptes en rejetant la responsabilité de leurs problèmes sur un ennemi fantasmé», explique-t-il dans la cadre d’un colloque se questionnant sur la relation entre journalisme et éthique.

Ces théories promettent, en effet, des explications rassurantes, dans une société qui «essaie d’évacuer la part d’incertain qui existe dans nos vies et n’accepte plus la présence du hasard».

Grand complot mondial

«Des complots, des complaisances, des copinages, il y en a tout le temps et dans toutes les sphères de notre existence, que ce soit à très basse échelle ou à très haut niveau.»

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Mais le chercheur distingue très nettement ces complots isolés d’un «grand complot mondial mené par des conspirationnistes par essence», c’est-à-dire des personnes dont les actions seraient toutes gouvernées par la volonté de conspirer.

Ces théories remportent un succès grandissant. Mais que faire face à la motivation et à la créativité de leurs adeptes?

Bien souvent, les pouvoirs publics ont pour seule réponse la censure, ce qui ne fait qu’attiser la curiosité et nourrir un intérêt malsain.

Le public se retrouve alors démuni lorsqu’il est confronté à l’efficacité rhétorique des théoriciens du complot. Leur éloquence leur permet de relier artificiellement des événements éloignés pour en faire autant de «preuves» à leurs idées.

Et si les médias ont tendance à opposer les «sensés» d’un côté et les «crédules» de l’autre, ces rôles sont totalement réversibles: chacun est le crédule de l’autre!

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«Parler de théories du complot fait vendre, mais disqualifie immédiatement la parole de l’autre» relève Loïc Nicolas, ce qui a pour effet pervers d’empêcher toute critique.

Autrement dit, en utilisant cette expression, on qualifie de paranoïaque toute personne qui met en doute une version officielle, tuant chez lui la moindre volonté d’y voir plus clair.

Même les scientifiques, qui devraient pourtant être les apôtres du doute, auraient trop souvent tendance à écarter les idées qui leur semblent étranges.

Pour lui, «toutes les théories ont le droit d’exister» et les médias ne doivent pas représenter une police de la pensée. «Restreindre leur liberté d’expression les place en position de victimes. De plus, si l’on considère qu’il y a là un ennemi, il faut savoir à qui l’on a à faire!»

Le chercheur plaide donc pour une ouverture au dialogue et une mise à disposition d’outils afin d’aider les jeunes et les moins jeunes à réagir à ces théories.

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Le cinquième pouvoir

«Les médias sont-ils adéquatement équipés pour traiter de questions éthiques?», se demande dans ce même colloque, Alain Dubuc.

L’éditorialiste à La Presse de Montréal évoque les objectifs de succès des médias – en tirage ou en cotes d’écoute – qui peuvent mener à des excès et des simplifications.

Selon lui, les éditorialistes ont désormais été remplacés par des chroniqueurs, qui doivent être toujours plus incisifs afin de s’élever au-dessus du «bruit médiatique» des nouveaux acteurs tels que les médias sociaux.

Il met cependant en garde les journalistes à ne pas devenir trop moralisateurs et évoque une profession qui ne s’inquiète que trop rarement des conséquences de son travail.

Pour Marc-François Bernier, titulaire de la chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa, les journalistes doivent plus que jamais rendre des comptes au public. Il constate l’émergence d’un «cinquième pouvoir» citoyen, en opposition au «quatrième pouvoir» que constituent les médias.

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Ce nouveau pouvoir serait devenu un élément de régulation journalistique important.

Il souligne cependant les faiblesses de ce cinquième pouvoir: ce dernier serait porteur d’un «discours profane qui ignore le fonctionnement des médias et adhère facilement à la théorie du complot». On n’en sort pas!

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