Carole Fréchette au Tarragon: la pièce de tous les possibles

The Small Room at the Top of the Stairs

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Publié 13/03/2012 par Guillaume Garcia

Dédale avait pourtant prévenu son fils Icare, de ne pas trop s’approcher du soleil, sans quoi la cire qui attachait ses ailes à son dos commencerait à fondre. Mais Icare, grisé par le vol et bravant l’interdit n’écouta pas le conseil du père et tombât dans la mer qui porte son nom, la mer icarienne. Parfois, un conseil, ou une interdiction peuvent avoir un effet contraire à celui désiré.

C’est en quelque sorte le thème de la pièce La petite pièce en haut de l’Escalier, de Carole Fréchette, traduite et mise en scène à Toronto au théâtre Tarragon.

La nature de l’homme n’est-elle pas de vouloir à tout prix ce qu’il ne possède pas? Grace, une jeune fille au regard angélique a trouvé un très bon parti en la personne d’Henri, riche investisseur qui est tombé fou amoureux de sa beauté et de son innocence.

Après un mariage fêté en grandes pompes, il lui fait visiter son palace, grand de 28 pièces plus belles les unes que les autres. Il veut qu’elle se sente chez elle ici. Il ne lui soumet qu’une seule interdiction, celle de se rendre dans la petite pièce coincée au fond d’un corridor exigu et sombre. La jeune femme accepte, non sans chercher de savoir ce qui se trouve derrière cette porte.

Inspiré du conte Barbe bleue de Charles Perrault, la pièce écrite par la Québécoise Carole Fréchette se base sur les notions d’interdit, mais aussi de trahison.

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Elle explique avoir eu l’idée de cette pièce grâce à une expérience personnelle.

«À un moment, j’avais le choix de faire beaucoup de choses, mais il y en avait une qui m’était interdite et c’est cela que je voulais faire. J’ai relu le conte et j’ai été appelée par ce conte. J’ai eu l’image de départ, elle est devant la porte fermée.»

Interdire quelque chose à un enfant peut être la meilleure manière de lui donner envie de la faire. Tel Parmentier important la pomme de terre en France – comme personne n’en voulait, il eut l’idée de mettre des barrières et des gardes autour d’un champ pour donner l’idée qu’une chose de grande valeur était cachée, ce qui intrigua les paysans, qui la nuit tombée décidèrent d’aller voler ce «trésor» et ainsi lancer le succès de la pomme de terre – l’interdit relatif à cette porte va pousser la jeune Grace à trahir son mari.

Mais que cache cette porte?

La mère de Grace, terriblement heureuse de la réussite de sa fille, tente de la raisonner, quand sa sœur lui confie son scepticisme sur les desseins d’Henry. S’en est trop pour la jeune femme, qui décide au moment propice, d’entrebâiller la porte.

«La pièce emprunte au conte. Grace est la narratrice de sa propre histoire et s’installe elle-même dans l’histoire. Il s’agit d’un monde féérique, irréel. Un palace de 28 pièces, on ne dit pas où. La situation est féérique, décrite de manière floue et fait appel à des grands archétypes. Chacun peut se construire sa propre maison de rêve. Pourtant, ce que j’ai voulu de vrai ce sont les émotions Ce sont de vraies personnes avec de vrais désirs et de vraies confrontations. C’est un ‘réalisme magique’.»

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Carole Fréchette n’a pas voulu dénoncer quoi que ce soit dans la pièce, et ni le mari, ni la femme ne sont «le méchant».

«Il y a un pacte, qui est de vivre un bonheur parfait dans 27 pièces. Elle brise le pacte et le trahit», précise l’auteure de la célèbre Les quatre morts de Marie, vainqueur du Prix du Gouverneur Général.

Un jardin secret

La petite pièce en haut de l’escalier est une métaphore et chacun y trouvera ce qu’il doit y trouver.

En pensant découvrir ce que son mari lui cache, Grace découvre en fait quelque chose qui la concerne. Que lui manque-t-il dans sa vie de château? Belle, jeune, innocente et fraîche, Grace ressent tout de même un manque. Celui d’un rapport à la souffrance, la douleur, la laideur?

«Il y a plusieurs interprétations à la pièce. Certains verront un couple, avec un jardin secret. C’est normal que l’on ait une part de mystère. Mais moi je le voyais plus comme l’idée d’une maison parfaite avec une pièce qui n’est pas parfaite. Il y a aussi le paradoxe qu’en entrant elle veut découvrir le secret de son mari et elle découvre son propre secret.»

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La pièce présentée à Toronto a été mise en scène par Weyni Mengesha de manière «très réussie», selon l’auteure et traduite par John Murrell, avec qui Carole Fréchette a déjà travaillé sur plusieurs de ses précédents projets.

«C’est étrange d’entendre sa pièce dans une autre langue. Ça crée une familiarité, mais ce n’est pas la même sonorité. En anglais, les mots me semblent toujours plus découpés.»

Carole Fréchette note aussi qu’elle est bien consciente que sa pièce s’avère très difficile à mettre en scène puisque le niveau de réalité est ambigu. «Weyni a très bien capté le niveau de la pièce en faisant confiance aux mots.»

Une pièce de très haute volée, magnifiquement traduite et mise en scène, qui mérite un coup d’œil malgré le fait qu’elle soit proposée en anglais.

Peut-être un jour en français au Théâtre français de Toronto…

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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