Le pot-au-feu

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Publié 30/05/2006 par Daniel Soha

Aujourd’hui, allons-y donc, proposons une recette à contre-temps. Parce que le pot-au-feu, c’est typique, c’est classique, c’est culturel, ça appartient aux rigueurs de l’hiver.

Tôt ou tard, persécuté par les frimas, les lèvres violacées par des températures sub-humaines, on se met alors à en avoir envie. Tôt ou tard, on éprouve le besoin d’être à nouveau séduit par ce bouillon foncé aux gros yeux doux, de se brûler à sa chaleur, de se laisser envelopper par la richesse de toutes ses textures animales et végétales, d’être piqué au vif par la moutarde ou le raifort et, les entrailles bouillonnantes et les muqueuses en délire, d’en pleurer presque de joie et de gratitude, de préférence au moment où se déchaîne au dehors une catastrophe climatique quelconque. Carpe diem.

Car à l’instar du cassoulet, de la choucroute, de la paëlla ou même de l’aïoli, voici encore un plat du pauvre, c’est-à-dire un fourre-tout de génie ou l’on a jeté pêle-mêle dans un chaudron de manante des denrées rustiques, des restes de tous poils et des bas-quartiers, voire même des os à sucer.

Le choix des ingrédients n’est pas fixe, les apprentis-cuisiniers consciencieux et appliqués qu’obsèdent les poids, les mesures et les proportions, ceux qui veulent tout codifier et biblifier n’y trouveront pas leur compte, se sentiront mal à l’aise devant toute cette anarchie créative.

Parce que ce à quoi le pot-au-feu se prête le mieux, c’est aux ajoutis, improvisations, approximations. En un mot, il y a autant de recettes du pot-au-feu que de régions, de villages ou même de grands-mères. Et si cela en plonge certains dans la perplexité, cela nous protégera aussi dans une certaine mesure de la critique, car: «Oh, chez moi, c’est comme ça qu’on le fait, hé!». Qu’on se le dise!

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Les viandes

L’élément de base, celui sur lequel on ne transigera pas, est le plat de côtes, qui donnera au bouillon ses yeux mouillants. Car ici comme souvent, il est impératif d’utiliser une viande grasse, qui restera moelleuse sans se dessécher et pourra se déguster brûlante à la moutarde forte ou au raifort, sous la narine moite et l’oeil débordant de jouissance du dégustateur.

Ceux qui ont résolument rayé la mot «gras» de leur vocabulaire ajouteront sans doute un beau morceau de poitrine de bœuf; ils pourront ainsi, le moment venu, mâchouiller une viande chère, filandreuse et sèche sans jamais connaître la saveur sombre et capiteuse du péché.

Ceux qui ont été contaminés par les anglo-saxonnades sentiront, pour leur part, le besoin de sucer une queue de bœuf. Excellente idée: c’est une viande noire qui conservera à la cuisson tout le moelleux souhaitable et donnera au consommateur zélé beaucoup de travail dans l’exploration de ses recoins osseux.

Une autre viande reine: le gîte ou le paleron, muscles du jarret qui, une fois énervés, sont tendres de couleur, de saveur et d’arôme à la fois. Il s’agit là, vous l’aurez deviné, de chair de deuxième catégorie, qui n’atteint la plénitude de sa destinée que braisée ou bouillie. Les puristes, les raffinés exigeront un jarret de veau, à peu près introuvable ici sauf si on le commande bien à l’avance à un boucher qui ne parle ni l’anglais, ni le français.

Cette viande blanche que son enveloppe grasse empêche de se dessécher offre l’avantage d’épaissir le bouillon par sa composante gélatineuse et d’ajouter à la palette de textures de ce plat une couenne tremblotante que la moutarde relèvera délicieusement.

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Enfin, un dernier élément incontournable qui celui-là ne prête à aucune discussion ou compromission: l’os à moelle.

Les familles se le disputent, les enfants plongent leur langue aussi loin que possible dans le fourreau brûlant de l’os et la coupent souvent sur ses dentelures, mais qu’importe: c’est toujours un interlude fort attendu, une parenthèse de pur délice, même souvent d’ailleurs une sorte de préambule, de hors d’œuvre improvisé que l’on mange debout, à la sauvette de crainte de se le faire voler, après l’avoir étalé sur une tranche de pain de campagne avec du gros sel.

Une condition pour que la moelle joue son rôle incomparable de stimulation des papilles: qu’elle ne se soit pas perdue dans le bouillon pendant la cuisson. Seule manière d’éviter ce désastre: sceller les deux extrémités de l’os avec un peu de farine avant de le précipiter dans le liquide bouillant du chaudron. Le moment venu, un gentil tapotement suffira à dégager de l’os le précieux cylindre de moelle à peu près intact.

(La semaine prochaine: les légumes, les fines herbes et condiments, la cuisson et le service)

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